Voici le tout premier débat entre moi et Sibilla. Nous sommes tous les deux des cinéphiles, et des bloggeurs cinéma. Je suis ravi de collaborer avec Sibilla, d'autant que deux avis valent mieux qu'un. C'est un débat croisé, alors vous pourrez trouver l'autre point de vue de ce débat sur le blog de Sibilla, voici l'adresse : Tout le monde s'en fout mais je donne mon avis .
Objet du débat : LE LABYRINTHE DE PAN, de Guillermo Del Toro........ !!!!!!!!!!!!
: "Une forêt banale qui cache un arbre incroyable, un labyrinthe qui ouvrirait sur un monde souterrain, un faune, des fées-phasmes, mais surtout une petite fille rêveuse, le tout en pleine guerre civile espagnole. Le labyrinthe de Pan est un film où le rêve et la réalité se télescopent avec dureté. Qui triomphera ? Qui prendra le pas sur l'autre ? Cela dépend du spectateur".
: " Tout à fait daccord avec toi sur le côté « duel entre rêve et réalité ». Mais je pense aussi que chacune des deux dimensions a sa part dimaginaire inhérente. Limaginaire est un imaginaire à lui tout seul, tandis que le franquisme a développé un puissant imaginaire dans les têtes des contemporains de Franco, dans es descendants de ces contemporains. Selon un processus dialectique, Del Toro se sert de la jeune Ofélia pour surenchérir sur le franquisme à coups dimaginaire mythologique, tout en surenchérissant sur cet imaginaire féerique à coups de froids et brutaux retour à la réalité. Du coup, pour te répondre sur le fait que le vainqueur de ce duel dépend du spectateur, je dirai simplement que ce dernier nest maître de rien, quil subit de plein fouet la perte dune innocence juvénile au contact de deux mondes qui le prennent en otage
"
: " Il se trouve que chez moi, la part d'enfance est toujours bien présente. Aussi, l'innocence de cette petit fille rêveuse confrontée à la dure réalité de son époque m'a particulièrement touchée. Son initiation, les épreuves magiques et surnaturelles qu'elle traverse, paraissent crédibles aux yeux de l'enfant. Mais l'adulte en soi est bien là. Tapis dans un coin, il attend l'erreur, qui prouverait que tout cela n'est qu'un rêve de gamine. Il attendra jusqu'au bout, et hésitera toujours, ne sachant pas s'il doit triompher ou laisser l'enfant l'emporter ".
: " Cest vrai que la jeune Ofélia est touchante. Ce nest pas de la pitié que jai éprouvé pour elle, même dans les moments de doute où on sent quelle est prise en étau entre deux mondes qui se resserrent en elle, en elle seule, mais plutôt un profond désir de laccompagner dans sa tâche. Au plus profond de moi, je me disais de suite que le monde imaginaire vers lequel elle tendait la main, vaudrait toujours mieux que le franquisme acerbe de son père adoptif. Cest un peu comme cela que jai survécu aux décharges émotionnelles de la première partie du film. Ensuite, jai effectivement été touché en plein cur. Et je men suis relevé en me soulageant à lidée que davantage quune enfant
Ofélia était la part dhumanité et de sagesse adulte de cette uvre ! "
" Guillermo del Toro ne tranche pas, et ne confond pas monde imaginaire et pays des merveilles. Le monde du faune est sombre, sale, glauque, parfois terrifiant. Mais ce n'est rien comparé à la dureté cruelle du monde réel, plus lisse, plus insidieuse, sans pustules ni excroissances monstrueuses. La mise en scène de Guillermo Del Toro accompagne son propos avec justesse. Certaines scènes, sanglantes, viennent rappeler qu'on ne regarde pas un dessin-animé Disney. La réalité n'est pas dissimulée, ni atténuée par cette quête fantastique. Au contraire, elle devient encore plus dure. Alors, comme Ofelia, on préfère l'immense crapaud dégoulinant aux exécutions sommaires de rebelles par le capitaine franquiste ".
" Japprécie ta comparaison entre le fantastique daprès guerre (ère Disney) et ceui de Del Toro, que tu ressens comme plus noir. Personnellement je place luvre toute entière comme un conte post-moderne, avec un univers mental noir tout à limage dune réalité noire. Comme si Del Toro avait voulu extrapoler sur lidée de « à chaque époque ses rêves et ses fantasmes ». En allant encore plus loin, je considère Le Labyrinthe de Pan comme un conte avant-gardiste, car il parvient à mettre des mots, des affects, des cauchemars, des rêves sur une douleur de lhumanité. Sans toutefois égaler un film historique pur, mais en le surpassant par moment, grâce à une dialectique réalité/imaginaire très fine. Ce qui me fait conclure dans le même sens que toi, Sibilla, c'est-à-dire en pensant que la dure réalité nest jamais dissimulée, ni atténuée, mais au contraire « sublimée » et amplifiée. Le spectateur en prend alors un gros coup sur ses affects. "
" Devant le Labyrinthe de Pan, j'ai été aussi subjuguée que brusquée, j'ai beaucoup pleuré (je suis une petite nature je le rappelle), j'ai été émue, transportée, envoutée. Ce film subtil, superbement réalisé, restera pour moi une des réussites du cinéma espagnol. "
" Je nirai pas jusquà dire que jai été brusqué. Car jai malheureusement déjà regardé des films très violents. Même si le degré de violence est ici supérieur, car il sagit dun contexte qui dispose de puissants marqueurs historiques, ce qui na rien à voir avec les films de violence gratuite. Si je nai pas été brusqué, jai quand même été ému, non pas à cause de mon ressenti pur, puisque je ne suis pas du même sexe quOfélia, ni du même âge, mais plutôt sur un plan plus globalisant. Sa condition de jeune innocente, victime de guerre, proie du fascisme, qui se jette peut être dans la gueule du loup (le Faune) ma ému. Car on sent quelle nest rien, quelle na rien, quelle vit dans labandon perpétuel de soi, sans être consciente de rien. La plus grande faiblesse dOfélia, celle en tout cas qui dentrée de jeu ma subjugué et ému, cest sa condition dinnocente. Née sous le franquisme, elle ne porte en elle aucune clé susceptible de lui ouvrir les portes de la lucidité. Savoir sur le triste monde qui lentoure, savoir sur son père adoptif. Elle finit bien par le mépriser lorsquelle se rend compte que sa mère, enceinte, est malade, et que son père adoptif ne fait pas plus defforts quil ne faut pour la sauver
..mais son mépris lui est permis quà la lumière du champs des possibles que lui a ouvert le Faune, à travers lobjet quil lui a demandé de placer sous le lit de sa mère, lui promettant que cet objet assurerait sa guérison
Mais quest ce quelle est touchante dans sa croyance forte en un soupçon de réalité ! "
" Un film fantastique certes, mais pas seulement. Guillermo del Toro a prouvé qu'on pouvait faire de l'imaginaire féerique engagé, bien loin de Cendrillon. "
" Assurément. On nest plus dans du féerique moderne. Car à part quelques rares uvres dans la même veine, Le Labyrinthe de Pan traite du choc entre deux imaginaires : celui véhiculé par le franquisme, et au-delà par le fascisme, et celui créé par linnocence la plus pure dune victime du fascisme. Les deux imaginaires étant de la même veine, comme pour mieux mettre des mots sur les maux de notre époque. "
Sibilla / Keruit
Correctif important sur le dieu Pan et l'emploi maladroit de "Faune" : Pan n'est pas considéré comme un faune. Veuillez m'excuser d'avoir employé ce terme de faune. Pan est selon la mythologie un Satyre. Un faune n'est qu'un équivalent usité par la civilisation romaine sous l'Antiquité. Etant un Satyres, Pan était mi-homme, mi-chèvre (cornes et sabots), comme il a très bien été retranscrit dans ce film. Dans la mythologie, Pan est un Dieu mineur. Fils d'Hermès il est considéré comme le Dieu des chevriers et des bergers et le compagnon des nymphes des bois. Il élisait domicile dans tous les lieux sauvages, halliers, forêts, montagnes et grottes. Les sons entendus la nuit dans les lieux sauvages étaient censés venir de lui et l'on voit sans peine d'où l'expression "peur PANique" trouve son origine. Voilà, excusez moi d'avoir employé le terme de Faune pour ce dieu Pan...