Sleepers (Barry Levinson -1996)
Une
intrigue puissamment orchestrée dans les trois premiers quarts dheure puis
quasiment plus rien à part les remarquables prestations de Dustin Hoffman,
Kevin Bacon et Robert de Niro. Sleepers, histoire vraie, ou vrai récit cousu de
fils blancs, reste mi-figue mi-raisin. Bien que le goût persistant de la figue
marque son homme dans ces premiers quarts dheure saisissants !
Barry Levinson a voulu raconter une histoire hors norme. Elle met en jeu la qualité réel ou supposée du système de détention des mineurs dans le New-York de la fin des années 60. Les années love se résumeraient selon Lorenzo Carcaterra, auteur du récit et personnage interprété par Jason Patric à lâge adulte, 8-10 ans à lâge adolescent, au triptyque alcool, sexe et viols passé la porte dune certaine maison de redressement de mineurs. Celle-là même qui brisa sa vie dans une moindre mesure que celles de deux autres de ses amis denfance, John et Tommy, devenus écorchés vifs du coup, et délinquants notoires à la ville.
Histoire vraie ou supposée vraie,
Sleepers sachève quand même, il faut le signaler, par ces quelques
scripts : «
« Lorenzo Carcaterra déclare avoir changé les noms, dates et lieux présents dans le film tiré de son roman ».
Alors voilà ce quil peut se
passer du coup. Un succès retentissant pour le film puisque cette histoire
vraie vendue comme vraie, part dun fait divers des plus crus. Un amalgame
terrible entre réalité et fiction, notamment le découpage qui serait
logiquement à faire entre les trois premiers quarts dheure, qui sont basés sur
des réalités réelles ou supposées, en loccurrence lenfance des quatre mômes
et leur détention de 6 mois pour certains à plus dun an pour dautres, dans un
centre de redressement
et le reste du film qui paraît fantaisiste, notamment ce
procès, hors norme de par ces jurés qui finalement remettent leur décision à un
simple faux témoignage sur lhonneur du prêtre, bien que Dustin Hoffman en
avocat alcoolique, ait été fichtrement bon au moins une fois : sur les
problèmes dalcool dun tel, les problèmes de délinquance sexuelle dun autre.
Mais bon, cela semble gros, et donc creux en terme de cinéma. Sauf quon
nenlèvera pas les deux interprétations de De Niro et Hoffman, ainsi que la
qualité sobre de Barry Levinson dans sa manière dapposer une histoire de
vengeance personnelle sur un fond judiciaire procédurale. Brad Pitt est quant à lui en deça.
Mais le système de datation, de
localisation, et cette voix-off de Lorenzo, donc de ce personnage important qui
depuis, en a fait un roman et un scénario de film, est judicieusement utilisé
par Barry Levinson, qui brouille toutes les cartes. Sauf les cartes de ceux qui
auraient lu le livre. Moi pas. Donc tant pis. Mais cinéphile invétéré oui,
quand même ! Donc les trois premiers quarts dheure sont impressionnants
de qualité, puisque des marqueurs temporels baignent ce récit historique,
quelques dates sont mentionnées en bas de votre écran, et lhistoire paraît
aussi vraie que ce que lon voit est inaudible, effroyable, inadmissible. Cest
malheureusement le cinéma à létat pur, au stade de réussite totale, que ces
trois premiers quarts dheure : limage saisissante voire crue, un vrai
fond de scénario, une intrigue concernant lhumain et linnocence donc touchant
tout le monde, ce fameux manichéisme « tord boyau » entre lentité censé
être bienveillante mais qui ne lest pas, et ces jeunes délinquants qui
trouvent plus durs queux, enfin, cette entité déducation et daide qui
devient le Diable tout en gardant son Autorité légitime contre laquelle
personne ne peut rien : ni les jeunes détenus, ni les proches en visite
régulière, ni nous spectateurs.
Mais ensuite on remarque
facilement, si on sy penche, la disparition totale des marqueurs temporels qui
accompagnaient avec une précision au mois près, les trois premiers quarts
dheure du film. Disparition aussi de lidée même de récit. Et négligence dans
lattitude et linterprétation des personnages : des enfants qui ont
grandi dans le mystère enfoui et qui devenus adultes en parlent pratiquement
comme si cela ne les avait pas concerné eux, mais dautres. Cette distance
entre les acteurs adultes, et les quatre personnages devenus adultes, est
malheureusement très visible. Jason Patric nest pas un interprète affirmé, on
ne le sent pas concerné. Brad Pitt néglige aussi son personnage. Quand aux deux
autres acteurs campant Tommy et John, ce nest pas cela non plus.
Si Barry Levinson avait réussi à totalement faire confondre réalité et fiction sans quon y voit des fils blancs, sil avait engagé de vrais acteurs et sil navait pas bâclé la partie judiciaire ou sil lavait un peu plus pimenté dhistoires de vie annexes, alors Sleepers aurait été un film colossal. Il est simplement sauvé par Dustin Hoffman, De Niro et ses trois premiers quarts dheure, qui font de Sleepers un film quil faut absolument voir.