Pitch Suzanne (S.Bonnaire), 15 ans, a des parents travailleurs manuels qui bossent dur à leur domicile. Elle doit bien apprendre aux études, des vux de son père (M.Pialat). Elle est plus quaimée par son grand frère (Besnehard). Elle est un peu ignorée par sa mère (E.Ker). Tiraillée entre le jeune Luc quelle aime, et son père quelle cherche et recherche perpétuellement, Suzanne se donne finalement au premier venu, vivant son passage à lâge adulte avec une insouciance réfléchie (nuance). Elle donne à des amants dun nuit ce quelle se refuse à donner au jeune homme qui laime. Chronique dune jeune femme tiraillée entre poids du passé, poids parental, et hésitation envers lavenir

Avis ce nest pas tout à fait à un scénario auquel ont affaire les spectateurs. La seule linéarité, bien que perpétuellement violemment heurtée, est la relation entre Suzanne et Luc. Comme une sorte de fil rouge. Car Maurice Pialat sest permis dentrer dans un rôle, en plus de diriger la caméra. Cest alors un Pialat sobre acteur qui va transcender cette petite chronique très sincère en chef duvre de réalisme. Là où les critiques professionnels parlent de naturalisme de Pialat, comme chez ses autres films, on doit plutôt parler dun ultra-réalisme. Dirigeant avec sévérité ses acteurs, Pialat sest aussi permis de les surprendre en plein tournage, même en pleines répliques. Cest alors étincelant de sincérité, dauthenticité, de réalisme. Pialat piègera sur certaines répliques les acteurs auxquels il donne la réplique. Sandrine Bonnaire révélant alors un véritable talent. Encore que le talent nappartient quaux actrices/eurs, et non à lhomme. Or cest en effet la femme tiraillée entre adolescence et âge adulte que Pialat parvient à faire jaillir à la figure du spectateur, et non seulement une performance dactrice. Sandrine Bonnaire sérigeant sans doute malgré elle en authentique porte-drapeau de la jeunesse post soixante-huitarde, oppressée par des parents nayant eu quune seule jeunesse, celle davant les années libertaires. Maurice Pialat se charge de jouer son père. Emerveillant le spectateur à deux reprises : lors de son rapprochement complice avec sa fille au sujet de sa fossette, lors de la séquence la plus longue de réalisme de lhistoire du cinéma mondial (en fin de film, scène du repas). Avant cette scène littéralement culte, les acteurs ne savaient pas toujours ce quils avaient à faire devant la caméra, sauf lors des scènes de violence au sein de la famille, entre Bonnaire et Besnehard (rôle de son frère), ou entre elle et sa mère (la très « à fleur de peau » Evelyne Ker).
Pialat donnant au cinéma une nouvelle façon de filmer la violence. Là où Cassavets zoomait sur les faciès, il prend tout le monde en grand champs, en de longs plans séquences, et donnait ainsi un nouveau sens au cinéma, en filmant la violence comme un rapprochement progressif et transgressif des corps entre eux, jusquau tumulte de linsondable, de lindicible. Plaçant du même coup le spectateur dans le rôle de témoin impuissant de ces violences. Violence rare aussi de par cette famille qui se déchire petit à petit sous ses propres yeux impuissants. Au-delà de ces violences, A Nos Amours est un rapport physique entre les rôles, les acteurs/ices. Et ça, cest très rarement aussi réussi. Pialat posait sa caméra dabord en grand champ, puis recadrait selon lauthenticité de tel ou tel acteur. Une vraie ambiance devait donc être installée au préalable, un très fort conditionnement, quelques rappels de Pialat, quelques conseils
et hop, ça tourne. Lacteur ne sachant jamais si ce quil improvisait était dans le champs ou non. Magnifique et rare de réalisme.

Pialat nétait pas un « naturaliste »
mais un ultra-réaliste !!
Le naturalisme accrédité au cinéma de Pialat est donc erroné selon moi. Il faut y voir de lultra réalisme. Car quand on parle de naturalisme, on ne parle plus vraiment de génie. Ce sont malheureusement des détracteurs malgré eux, inconsciemment, qui parlent ouvertement de naturalisme. Car une intrigue non-linéaire offre des libertés au metteur en scène et aux acteurs (réalisme), mais on ne tombe pas du tout dans une absence totale de scénario (naturalisme). Les improvisations sont imposées par Pialat que lorsquil les sent possibles. Dont son but premier nest pas dobtenir un sacré naturel des acteurs, mais aussi et surtout de les pousser dans leurs derniers retranchements. Il y a aussi dans ce Pialat tous un tas de mystères entretenus jusquau bout du film. Or, il est impossible de transparaître des mystères humains sil ny a pas un minimum de travail en amont, de textes appris et récités avec conviction. Pialat, au fond, ne demande pas du naturel à ses acteurs, mais il les pousse au contraire à sortir de leur « naturel » statut dacteur/ice. Pour être les plus naturels possibles face caméra. Mais cela nécessite obligatoirement un grand travail dapproche du réalisme, en amont. Un vrai travail décriture, même la plus large possible, quitte à ignorer ou annuler certaines prises par la suite. Pour mieux pousser hors de ses gonds quelquun quil sent capable de cela, sans toutefois lui faire perdre son humanité.
Une séquence finale hallucinante de réalisme !
Et puis à partir du moment où Pialat décide de prendre de court toute sa troupe, et à 100 % dailleurs, en fin de film, pour débarquer au beau milieu dune séquence où il est écrit quil ne devait pas intervenir, ce nest plus seulement des réactions naturelles quil fait filmer, mais un froid réalisme. Ce froid réalisme dun père de famille, jadis enfui de sa famille, et qui voit que sa fille, son fils ont avancé dans leur vie sans lui. Que malgré son absence ils semblent avoir trouvé leur voie. Le premier choc vient du regard des acteurs, victimes dun imprévu au scénario, et que Pialat va pousser au bout deux-mêmes. Ils savent que la caméra tourne toujours, il garde leur posture, tandis quils témoignent obligatoirement de leur stupeur de voir ce rôle de père décédé, débarquer là, comme ça
sans prévenir
et même sans avoir été ne serait-ce que suggéré par le scénario. Cette séquence durera près de 10 minutes et reste à ce jour la plus fascinante que jai vu à ce jour. Un documentariste naurait pas fait mieux.
Personne nétait au courant, même pas la scénariste Arlette Langman. Pialat, dans son rôle de père meurtri, jadis enfui, mais désormais désireux de revoir sa chère Suzanne, va balayer tous les fléaux de notre existence moderne : le mariage par intérêt, le mépris des couples né des mariages qui ne durent plus 20 ans comme au siècle dernier
mais un demi-siècle, le fléchissement de lart envers lintérêt financer, le poids énorme et insupportable revêtu par les pères de famille en ces années de rabaissement des murs, etc
Les acteurs placent quelques mots de temps en temps, comme pour faire corps avec le monologue virulent de Pialat, et là encore cest Sandrine Bonnaire qui sort du lot. Le talent quoi ! Et puis Evelyne Ker, une actrice très fleur de peau, brille à son tour, improvisant une gifle violente adressée à son mari (Pialat)
.lorsque celui-ci lance « jaurai été mort jaurai été un Dieu, là je ne suis que..(gifle violente) ». Pialat abordant alors le problème de la mémoire, et lincapacité actuelle à vivre linstant présent à sa juste valeur. Voire la cristallisation dans ses dires de notre fâcheuse tendance à ressasser le passé au point de se scléroser devant nos avenirs. Le champs de compréhension et dintériorisation de cette séquence
est si vaste
.que lon pourrait songer aussi à une boutade au vitriol contre notre société qui vénère les morts, tout en négligeant les vivants qui nous entourent. Mais là, on part trop loin
Tout simplement majestueux comme cinéma, car il a des choses à dire, à susciter, à suggérer !
Le cinéma de Maurice Pialat cest aussi un cinéma intemporel, typiquement artistique (le 7ème donc), qui fait dans de larchaïque là où tous les autres en font trop (sentiment amoureux). Ce qui donne un champs dexploitation artistique hors-pair, presque jamais constatée dans une telle puissance, mêlant dans ce A Nos Amours la jeunesse rebelle et insouciante, la violence charnelle, la torsion des sentiments, le problème de communication générationnelle. Ce nest plus une chronique temporelle sur la libération sexuelle au sens strict, quextrapole Pialat, non, puisquil ne témoigne à aucuns moments de ces « années pillules ». Retirant son uvre, en vrai artiste et intellectuel grisé quil était, de la lignée des cinémas subversifs ou libertaires daprès mai 68, c'est-à-dire ceux là mêmes qui sont jonchés de bornes de datation, et qui souffrent des affres du temps qui passe. Plus quune chronique, cest un essai quasi intemporel, qui ne souffrira encore longtemps daucuns vieillissement dans ses messages. Leau qui coule et coulera sous les ponts naura de prises en définitive
que sur les témoins successifs de son uvre. Confirmant inconsciemment encore et encore que le talent de Maurice Pialat nétait pas à mettre dans un tiroir ou un autre, que son génie nétait finalement pas de ce monde. Et que rien ne servait de le cataloguer, puisquil finissait toujours par surprendre tout son monde. En bien ou en mal, cela dépendant bien évidemment de la position sociale et de lintégrité de chacun : critiques ciné professionnels compris, spectateurs, acteurs (ices) ayant collaboré avec lui, acteurs (ices) layant souhaité mais manqué, les gens de son époque au sens large, nos contemporains, et donc aussi
les futures générations de cinéphiles
Jeu dacteurs
Sandrine Bonnaire :):):):)

Maurice Pialat :):):):(
Evelyne Ker :):):):(

Dominique Besnehard (à gauche photo ci-dessous) :):):(:(

Cyril Collard à droite sur photo au-dessus (bouleversé par sa participation, il signera un film très engagé en 1991, comme réal-acteur : Les Nuits Fauves) :):):(:(
Jacques Fieschi (celui qui assume le mieux après Bonnaire, dans la séquence finale dimpro, de la table, mais quon ne voit finalement pas assez) :):):(:(
