RESPECT MONSIEUR NOIRET !!!!
Phillippe Noiret nous a quitté le 23 novembre 2006. La maladie a emporté un monstre sacré du cinéma français, le timbre de voix et lélocution les plus charismatiques du cinéma français. Petite plongée dans la condition dacteur de ce Philippe Noiret, petit mot dun jeune cinéphile en hommage à une personnalité sage et modeste et un acteur légendaire.
Il semprégnait totalement de ses rôles
Du haut de ses 75 ans Philippe Noiret dit avec humilité quil est « une sorte doncle pour les gens qui me croisent, certains me disent que leur mère maime beaucoup et maintenant jen arrive modestement à toucher les plus jeunes dont certains me disent que leur grand-mère madorent ». Cela ne peut que faire sourire Philippe Noiret qui est toujours resté lucide sur son compte. Son ami de génération et éternel complice Jean Rochefort salue à ce titre son « infinie modestie ». Cela ne lempêchait pas dimpressionner tout ces cadets qui apprenaient énormément à ses côtés le bref temps dun tournage, tel Bruno Putzulu, Charles Berling, Pascal Elbé (Père et fils), Gérard Jugnot (Fantôme avec chauffeur) ou Lorant Deutsch (Les ripoux 3). Le tout premier film de Philippe Noiret annonçait un parcours filmographique hors normes : La Pointe Courte (1954). Pour ce tout premier rôle le voilà quil campait un rôle complexe dans un film particulier. Trop particulier peut être pour marquer ses grands débuts au cinéma. On commence à déceler chez lui sa pulsion de semparer totalement de son rôle. Manie qui ne le quittera plus jamais, faisant sans doute une des essences de son talent. Philippe Noiret simprégnera toujours longuement de ses costumes et tenues pour mieux camper ses personnages.
« On a été béni pendant 30 ans de ne pas avoir eu les producteurs sur le dos pour autre chose que de déjeuner ensemble ni davoir à faire le service après-vente, la promo dun film au bout dun tournage »
Philippe Noiret avait le sentiment de faire lacteur, seulement lacteur, loin des pressions commerciales et des obligations quon demande aujourdhui à tout acteur. Ce nest pas prétentieux de décrire une période du cinéma où Philippe Noiret sinscrit lui-même parmi des acteurs qui pouvaient faire de lart, du vrai, et camper les rôles sans perturbations extérieures, sans pressions autres que la sienne propre. Celle de devoir donner le meilleur de lui-même, celle de vivre le cinéma à létat pur. Un acteur nétait à ses yeux non pas un commerçant, mais un artiste.
« Le metteur en scène est un maître duvre pour lequel je suis un artisan »
Philippe Noiret simprégnait de ses rôles, et se plaçait tout entier au service dun cinéaste. « Le metteur en scène est un maître duvre pour lequel je suis un artisan ». Le cinéma redevient le 7ème Art à travers ses mots et sa pensée. Authentique « acteur » témoin dun cinéma en perdition, Philippe Noiret ne sest jamais laissé aigrir par son rapprochement vers la mort cinématographique, ni vers sa propre mort. Accordant sa confiance au jeune novice Stéphan Guérin-Tillié récemment dans Edy, accordant un peu de son expérience à Lorant Deutsch dans Les Ripoux 3, Philippe Noiret a eu de la bonne volonté dans ses dernières années de léger vide. Préférant donner de sa personne à défaut de ne plus trouver de rôles, Philippe Noiret na jamais vraiment souffert de sa rareté croissante au cinéma. Très humble, il se proposait comme personnage de grands-pères auprès de certains jeunes cinéastes mais à la vérité « je nincite jamais quelquun à me confier un rôle ce nest pas dans ma nature ». Avec Père et fils, de Michel Boujenah, Philippe Noiret soffre la possibilité de combiner tout ce quil recherchait dans son acting crépusculaire : humour, sagesse, apprentissage inconscient de la condition dacteur à ses cadets Putzulu, Berling et Elbé, donner son talent au service dun film quil a bonifié par son naturel irrésistible.
« La vie est un voyage. Un voyage est court, alors autant le faire en première classe [ ] parce quon reste au fond des privilégiés »
Quand Patrice Leconte le réunit lui et Jean Rochefort et Jean-Pierre Marielle dans Les Grands Ducs, en 1996, leur complicité dacteurs cristallisée par la pellicule, leur savoir-faire et leurs rôles autobiographiques dacteurs oubliés qui se donnent un coup de main pour relancer leurs carrières sattire les foudres. Lautodérision sur leur propre condition dacteurs sur la fin et la critique maîtrisée dun cinéma qui ne veut plus deux reste légendaire. « Je ne sais pas de quoi souffre le cinéma français actuel .peut être de jeunisme .mais est-ce une souffrance de donner sa chance à la nouvelle vague dacteurs ? », se demanda Philippe Noiret. Toujours est-il quil avait toujours gardé un talent passionné qui pouvait toucher bien des générations. Il aimait ce quil faisait, et était soulagé de pouvoir en vivre durablement. Sa condition dacteur ne fut jamais percutée par quelque souci matériel, financier ou existentiel que ce soit. Toujours humble, Philippe Noiret ne se considérait non pas comme un monstre sacré ou comme une star de cinéma mais comme un artiste autonome. « La vie est un voyage, affirmait-il. Un voyage est court, alors autant le faire en première classe [ ] parce quon reste au fond des privilégiés ». La première classe dune condition dacteur vécue dans sa pleine mesure, une condition dacteur au cur dune vie quil juge comme réussie non pas parce quil est célèbre, ce quil ne rechercha jamais, mais plutôt parce quelle lui offrait la jouissance de vivre de sa passion tout en ne souffrant jamais de déplaire au public.
Bertrand Tavernier : « Phiphi est ce que je considère comme un acteur autobiographique cest à dire quil était facile de lutiliser efficacement pour faire passer mes émotions, mes envies »
Philippe Noiret devint lartisan attitré du metteur en scène Bertrand Tavernier. Ce duo donna vie à sept films dont le Coup de Torchon (1981) ; Autour de Minuit (1985) ou La Vie et rien dautre (1988). «Philippe Noiret est ce que je considère comme un acteur autobiographique cest à dire quil était facile de lutiliser efficacement pour faire passer mes émotions, mes envies », commente Bertrand Tavernier. Tous deux se sentent comme frères. « Bertrand est en quelque sorte mon frère cadet et mon frère aîné à la fois. Cadet parce que je suis 10 ans plus vieux que lui, aîné car je reste aux ordres dun metteur en scène », avouait Philippe Noiret sur le plateau de + Clair, en avril dernier, devant Bertrand Tavernier qui était présent. Il remporte avec La Vie et rien dautre son deuxième césar de meilleur acteur, en 1990, après Le Vieux Fusil. Philippe Noiret a tourné avec les plus grands cinéastes français, tout en souvrant avec timidité au cinéma international (avec Cinema Paradiso il obtient tout de même en 1990 loscar du meilleur film étranger). Tourner avec les plus grands de son temps cest un peu résumer son parcours mais parmi les plus grands citons chronologiquement Agnès Varda ; Louis Malle ; Gérard Oury ; Abel Gance ; Jean-Paul Rappeneau ; Jean Becker ; Philippe de Broca ; Alfred Hitchcock ; Yves Boisset ; Marco Ferreri ; Henri Verneuil ; Robert Enrico ; Bertrand Tavernier ; Alexandre Arcady ; Alain Corneau ; Claude Zidi ; Claude Chabrol ; Claude Berri ; Patrice Chéreau ; André Téchiné ; Patrice Leconte ; Bertrand Blier, etc
Michel Audiard : « Philippe Noiret est un acteur à coffre, un acteur à voix, il est un formidable instrument de travail pour un dialoguiste ! »
« Je nai pas fait que des bons films, heureusement car ça serait inquiétant », pense-t-il ironiquement. « Je nai pas tourné avec Claude Sautet mais il ma dit un jour quil ne parvenait pas à trouver un rôle qui me corresponde. Cela ma suffit pour être comblé ». Jean-Luc Godard non plus ne la pas fait tourner. « En matière cinématographique Jean-Luc Godard est un grand pervers, il a le goût de la destruction, sans être méchant bien entendu, mais il a cet attrait dhumilier les acteurs à un point que chez moi ce serait un point de non-retour. Cest toujours envisageable pour un acteur de se mettre à nu, mais je serai trop prétentieux si jacceptais de tourner pour lui. Parce que cela voudrait dire que je relève un défi contre la mise en scène de Godard et que je mestime capable de remporter ce défi. Or je pense sincèrement que cest tout bonnement moi qui laurait perdu ce défi ». Son charisme et sa voix singulière ont donc fait le bonheur dautres cinéastes. Le plus grand dialoguiste du cinéma français Michel Audiard disait de Philippe Noiret quil « est un acteur à coffre, un acteur à voix, il est un formidable instrument de travail pour un dialoguiste ! ».
La seule fausse note du comportement dacteur de Philippe Noiret est un détail ironiquement drôle. Il lui fallait ses repas à telle heure, entre midi et 14H sous peine de quoi il devenait électrique. Amoureux de la nature et de la bonne « bouffe », de la littérature ou de la sculpture, Philippe Noiret avait arrêté depuis la fin des années 90 de fréquenter les spectacles pour autre chose que de faire lacteur. Il naimait pas se voir à lécran, et ne trouvait plus de distraction dans des sorties théâtrales. Il jouait sans observer, il jouait sans regarder les rushs, prenant le risque de ne jamais voir en lui des imperfections que lui seul pourrait peut être déceler. Quel talent !
« Dans ce métier, rester dur de peau ne sert à rien, il faut rester vulnérable, modeste, fragile pour cultiver et pérenniser la sensibilité qui est en nous, et la communiquer comme il le faut aux spectateurs »
Lartiste Philippe Noiret cultivait sa modestie pour donner le meilleur de lui-même, de ses films dauteur des années 50 à 80 aux seconds rôles des années 2000 en passant par les efficaces comédies des années 80-90. Et son secret de modestie et de longévité se révèle peut être en ces mots, qui sont naturellement les siens : « dans ce métier, rester dur de peau ne sert à rien, il faut rester vulnérable, modeste, fragile pour cultiver et pérenniser la sensibilité qui est en nous, et la communiquer comme il le faut aux spectateurs ».
Un très grand Monsieur du cinéma nous a quitté. Mais par le biais de ses 120 films, chaque cinéphile peut se consoler en savouant à lui-même quau travers de ces 120 films Philippe Noiret reste et restera avec nous pour longtemps.