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La "question Tariq Ramadan" posée à l'intelligentsia française !

Publié le

L’ombre de Tariq Ramadan commence à planer au-dessus de l’intelligentsia française. La Suisse, l’Angleterre, les Etats-Unis, emploient des méthodes différentes face à sa recontextualisation de l’islam. Le corps intellectuel hexagonal a peiné jusqu’ici dans sa façon de débattre avec cet homme mystérieux. Tandis que les voies entreprises ailleurs à son encontre, n’ont pas encore porté leur fruit. Essai sur Tariq Ramadan, non plus sur l’homme, mais en partant de l’environnement intellectuel qui l’entoure…le fabrique et le nourrit chaque jour encore plus .

Licencié en philosophie, et docteur en Lettres, spécialisé dans les écritures coraniques surtout et leurs interprétations, Tariq Ramadan  part ensuite au Caire, étudier les sciences islamiques à l’université de Al-Azhar. Depuis il donne des conférences en Suisse, en France et récemment tente la Grande-Bretagne. Pour être plus précis, il enseigne au collège Saussure, de Genève, et se rend à Fribourg pour donner des cours d’islamologie entre 1996 et 2003. Son incursion aux Etats-Unis fut pour le moins très courte : il possède une chaire pendant un an dans l’Indiana, sur invitation du Joan B. Kroc Institute, puis se voit refuser de visa par le gouvernement. Retour en Suisse donc, puis premières tentatives en Angleterre, dès l’été 2005, dans le cadre d’un groupe de réflexion sur le problème de l’islamisme au Royaume-Uni, groupe fondé par Tony Blair.

Ramadan est un « maître du double langage ! » (Antoine Sfeir photo)

Tariq Ramadan est petit à petit devenu quelqu’un de gênant en Suisse. Où il est très souvent vilipendé par des hommes et femmes politiques, des journalistes, en direct à la télévision, à des heures de grande écoute. D’après les extraits vidéos accessibles depuis Youtube et Dailymotion, peu de personnalités suisses n’ont semblé en mesure de lui tenir la dragée haute, au plan de l’aisance à faire passer des messages. Cela reste plus rude pour lui de s’immerger dans le microcosme intellectuel français. ‘‘Bête noire’’ de Alain Finkielkraut, philosophe ; pris au pied de la lettre ouvertement sur France2 par Nicolas Sarkozy, à heure de grande écoute ; cible de certains énervements de Philippe de Villiers sur le plateau de Ripostes (du très bon Serge Moati), contrecarré modestement par Max Gallo sur la question d’une impossible symbiose entre l’Idée républicaine française et l’islam…Tariq Ramadan tarde à pouvoir dialoguer dans du débat de fond sur le phénomène islamique en France. Alors il en est réduit et cristallisé à quelques dialogues suspicieux comme celui-ci : « C’est à la loi stricte de 1905 d’être adaptée à l’islam, et non l’inverse » dit-il à N.Sarkozy en 2003 dans 100 minutes pour convaincre, lequel répond « Pas de signes ostentatoires, demandez à retirer le port du voile » ; réponse de Ramadan « il faut des signes discrets, on peut très bien retirer le voile si on respecte qu’une jeune fille couvre sa tête ». Ramadan c’est un peu cela : on ne sait où il veut en venir clairement, car il gêne et est entrecoupé dans son message. Mais il tord le cou assez vite à ce qu’on a cru entrevoir 3 secondes avant, passant rapidement d’un resserrement du débat sur les mystères de l’islam, vers un élargissement géopolitique et universel, passant parfois du rôle de la ‘‘victime’’ du débat au ‘’patron’’. Noyant lui aussi les débats. Antoine Sfeir, directeur des Cahiers de l'Orient (revue d'études et de réflexions sur le monde arabo-musulman), et président du Centre d'études et de réflexions sur le Proche-Orient, parle de lui comme d’un « maître du double langage ». La réflexion venant de Sfeir, on peut comprendre combien l’intelligentsia français peine à débattre avec Ramadan.

Ramadan et l’islam, Ramadan et la France…

Tariq Ramadan est très difficile à cerner. Dans son intellectualisation de l’islam actuel, il recontextualise un islam ancien, à priori en décalage avec la vision occidentale de cette religion. « Il y a la tendance réformiste rationaliste et la tendance salafiste au sens où le salafisme essaie de rester fidèle aux fondements. Je suis de cette tendance-là, c'est-à-dire qu'il y a un certain nombre de principes qui sont pour moi fondamentaux, que je ne veux pas trahir en tant que musulman.»  (nov 2003 sur Beur FM). Il semble se rattacher davantage à cet islam des fondements, qu’aux autres, et paraît donc aux yeux de certains intellectuels français, être en marge des réalités quotidiennes de l’islam moderne, de France, d’Europe.  Or, l’islam qu’il maîtrise et défend, n’est finalement plus si ancien que cela. C’est un islam réinterprété et réactualisé au cours du XIXème siècle dernier par des maîtres-penseurs qui se souciaient d’une mise en phase de leur religion avec l’Occident. De cet amalgame entre l’islam qu’il défend et celui qu’on lui dit défendre, Tariq Ramadan passe auprès de certains lettrés, pour une certaine ‘‘vitrine’’ aguicheuse de l’islam ‘‘dur’’. En France plus particulièrement, où ses idées paraissent vagues voire tendancieuses, lorsqu’elles ne viennent pas s’entrechoquer de front avec un idéal républicain héritier de la Révolution Française. Tariq Ramadan pense sûrement, à juste raison, que conquérir la ‘‘bulle’’ des débatteurs français, serait le début de son ouverture à l’Europe. Mais la tâche est d’autant plus difficile que le paysage intellectuel français est aussi pluriel qu’arc-bouté sur de longs siècles de connaissances critiques. Il fait donc parti d’un nouveau paysage intellectuel possible. Dont le rempart le plus sérieux reste les hommes politiques engagés dans des voies traditionalistes, ainsi que les philosophes français de manière générale. Mais si on surplombe le fond de ses débats d’avec l’intelligentsia français, il apparaît qu’il n’a pas vraiment assimilé les ramifications européennes différentes selon les pays sensibilisés, ni le décalage temporel de leur diffusion -Révo française=>Bonapartisme=>invasion napoléonienne et diffusion=>révolutions populaires européennes du XIXème siècle=> retour de la république en France-. Ce serait plutôt sur ce point que la ‘‘question Ramadan’’ devrait être abordé, et non en une sorte de problème franco-français d’intégration inachevée, de colonialisme pesant…



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S
toulalan est mon joueur préférer et a sa place dans cette equipe.
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K
réponse à plusieursA l’attention de Bordelor,<br /> <br /> Bordelor, non, infiniment non, ce que j’ai écrit là , sur Sparte, n’est pas issu de quelques recherches, mais c’est le fruit de mes études d’histoire. Je me suis de surcroît spécialisé dans l’histoire antique. Ce que je dis là n’est pas du tout ce que j’ai appris finalement, mais ce que mon lectorat à moi peut suivre mot à mot sans broncher. Mais ce sont des vérités prouvées par les historiens. Ma critique tourne effectivement exclusivement sur et autour ce malaise associant nationalisme américain et « défense de la cité spartiate ». C’était l’angle que j’avais choisi pour cette critique, comme j’aurai pu en choisir un autre. Vous semblez très alerte sur le fait spartiate et j’admire particulièrement votre faculté à défendre un film que vous avez apprécié en optant pour un ton très érudit. J’aurai apprécié parler comme vous le faites de ce film, mais comme je suis dépositaire d’un blog cinéma exclusivement, je n’ai pas tenté de m’embarquer sur le terrain de l’histoire, de la mémoire et de la récupération nationaliste plus que cela. Mon but était d’éclairer mes lecteurs cinéphiles sur quelque chose que je trouvais important : le cinéma de fond bleu qui fait du fric, au détriment des acteurs qu’il pourrait un jour envoyer au chômage. <br /> Merci de votre intervention, je vous dis à une prochaine…<br /> <br /> A l’attention de Marc,<br /> <br /> Il faut que je renvoie cette séquence. Cela peut prendre du temps. Quand je saurai je vous dirai quel est l’auteur de cette musique
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A
Une si pieuse apostasie <br /> <br /> Considérations sur le «cas» Tariq Ramadan<br /> <br /> (MAJ 19 / 4 / 1427 H. - 17 / 5 / 2006 Gr.)<br /> <br /> I. <br /> <br /> Il est hors de doute pour moi que l'homme que j'ai décidé de considérer aujourd'hui, non sans devoir ravaler force dégoût et moult ennui, est un apostat, c'est-à-dire quelqu'un à qui, lorsque les vaches sont bien gardées, on tranche la tête d'abord, pour discuter ensuite. C'est effectivement ainsi et non autrement que je considère le phénomène médiatique nommé Tariq Ramadan. En fait, plus je le considère et plus je suis sidéré par tout ce qu'il y a de sidéral et d'abyssal dans le personnage, à commencer par sa sottise. Sans craindre la vulgarité, on peut dire que cette dernière est le principal considérant qui me pousse à disposer les présentes considérations. D'ailleurs, quand on parle de considérant, plus qu'aucune autre l'image de «frère Tariq» s'impose à mon esprit. Puissent ces quelques pages sidérées suffire à en découdre pour l'éternité avec cet abruti sidérant, apostat et imposteur considérable, qui infeste de sa présence rencontres, colloques et séminaires sur l'islam - un islam que l'on croirait parfois atteint d'une sorte de sida intellectuel, qui n'arrive plus à secréter d'anticorps contre ce genre de poison séditieux. Dieu veuille pourtant que le «syndrome Ramadan», qu'on pourrait définir comme un reniement opportuniste sur fond de sottise pieuse - une si pieuse apostasie - soit passager, comme toute chose ici bas.<br /> <br /> Premièrement, entendons-nous sur le sens des mots: peu m'importe que vous fassiez ou non votre prière, que vous jeûniez scrupuleusement le jour d'Arafat ou que vous soyez ivrogne, drogué, érotomane, prostitué, inverti, parricide, schizophrène, communiste; dans à peu près toutes ces catégories de personnes j'en connais qui valent probablement mieux que divers pharisiens très pratiquants, et souvent hélas prédicants, que j'ai le triste honneur de connaître. Je ne sais pas s'ils valent réellement mieux, mais en tout cas je leur donnerais le ciel sans hésiter, tandis que je déférerais volontiers les seconds à leur propre vanité, pour voir le résultat. Certes, la vanité de certains mufles prédicants ne vaut pas en soi apostasie; mais la révolte contre l'Esprit qui l'accompagne quelquefois, elle, mérite assurément ce nom. Elle est même la seule chose qui mérite vraiment ce nom. De ce point de vue, le cas de «frère Tariq», qu'une fringale de prestige et de reconnaissance publique aura tout naturellement fini, de concession en concession, par dresser contre l'esprit des anciens, contre l'œuvre des pères, contre l'âme d'une tradition qu'il était supposé défendre, est particulièrement emblématique - bien plus que celui du probable co-signataire d'un de ses prochains pensums, le petit mufti de Marseille S. Belcheikh, qui n'eut jamais assez de cœur ni assez de cervelle pour pouvoir réellement renier quoi que ce fût.<br /> <br /> Ceux qui pensent qu'on peut douter, ou que la question demeure ouverte, peuvent se dispenser de poursuivre la lecture de cet article. Nous les remercions de l'attention qu'ils nous ont accordée.<br /> Pour les autres, je commencerai par faire observer que, cet axiome: «Tariq Ramadan est un apostat» étant admis une fois pour toutes, il semblerait à première vue que tout fût dit, qu'il n'y eût plus rien à ajouter. Comme je le rappelais ci-dessus, avec les apostats, il n'y a qu'une seule façon philosophiquement rationnelle de traiter: couper la tête d'abord, argumenter ensuite si l'on perçoit de l'obstination de leur part - ce qui est assez rare, il faut en convenir.<br /> <br /> Ceci est la méthode des anciens, et l'on n'a pas trouvé mieux, pour une raison bien simple. L'apostat est, aux yeux du Seigneur, la créature la plus détestable qui soit; son élimination physique et morale, comme celle de la vipère ou du scorpion est, en soi, un acte louable, qui participe de la Charité, laquelle ne consiste pas, comme l'imagine l'imbécile moderne, à aimer l'homme pour lui-même et quoi qu'il ait pu faire, mais bien à aimer ce que Dieu aime et à haïr ce que Dieu hait. Tout ceci découle naturellement des principes métaphysiques les plus élémentaires. À un homme du temps de Platon (Aflatûn) ou de Chibli, ces évidences eussent paru se passer totalement de phrases. On tenait alors généralement l'apostasie en horreur au même titre que la trahison et que l'impiété, avec lesquelles elle a partie étroitement liée. <br /> Ce qui explique que de nos jours, il en aille tout différemment, est uniquement l'ignorance métaphysique phénoménale et pour ainsi dire constitutive de ce qu'il est convenu d'appeler l'«homme» moderne, sa répulsion quasi instinctive pour tout ce qui est sain et droit dans le domaine de la pensée comme en tout autre (spécialement celui des arts), sa stupidité qui donne une idée assez exacte de l'infini. Inutile de dire que tout cela se rencontre au plus haut degré dans la personne du «philosophe» T.R., et s'y trouvait déjà (forcément) bien avant que se manifestât son apostasie. Celle-ci aurait d'ailleurs fort bien pu ne se jamais manifester. Elle aurait même pu ne pas être. Pour une apostasie apparente, manifeste, il y a cent apostasies voilées, au bas mot. Mais pour une apostasie secrète, larvée, combien y a-t-il de gens qui ne sortent jamais des sentiers battus par la religion, s'en tiennent méticuleusement, toute leur vie, à ce que Dieu a permis, évitent tout aussi méticuleusement ce qu'il a interdit, et meurent comme ils sont nés, aveugles n'ayant jamais vu la Lumière, qui ne recueilleront de leurs actes d'adoration que la fatigue? Dieu seul le sait, et d'ailleurs il vaudrait mieux ne pas trop leur jeter la pierre. Dieu ait pitié des médiocres! Quant aux habiles, aux madrés qui les exploitent, le diable les emporte.<br /> Toujours est-il que l'apostasie de T.R. est, au fond, un sujet sans intérêt à mes yeux. N'eût-il rien concédé, n'eût-il pas lâché docilement les principes - les vrais - pour conserver l'estime des dinosaures du Monstre Diplodocus qui cosignent ses sots bouquins, pour que les braves petits zaltermondialistes, dans leur délire à la Woodstock, lui réservent la place du musulman «sympa» et «engagé» contre «l'injustice», même faite à des gens qui se gobergent du Nom sublime et se moucheraient dans le voile du Temple, et enfin pour continuer à se faire inviter dans les colloques et les émissions télévisées (à quand Tariq à La Ferme?), cela changerait peut-être quelque chose pour Dieu, mais moi je ne suis pas Dieu, en tout cas pas plus que n'importe qui, et j'avoue que pour moi cela ne changerait rien, ou fort peu de chose. L'apostat en moins, il resterait quand même le crétin universitaire (post-)moderne que les personnes disposant de leurs facultés intellectuelles ont toujours diagnostiqué en lui, du moins pour celles qui avaient du temps à perdre. La vacuité ou plutôt l'inexistence de la pensée laisse sans voix, dans une œuvre qui ressemble à une vaste opération de marketing - à la Glucksmann ou à la BHL, mais avec des moyens nécessairement réduits - pour vendre son image d' «intellectuel musulman», volontaire et engagé qui, conscient des «défis contemporains», s'insurge contre toutes les formes d'oppression tout en dénonçant les «blocages» de ses (ex-)coreligionnaires «dangereusement attachés» à la «littéralité» de leur tradition, et patati, et patata. Si l'on veut se faire une idée des sommets atteints par cette «philosophie» ramadanienne, il faut lire, sur oumma.com, organe quasi-officiel de cette idéologie, son article intitulé «Réforme radicale». Rien n'y manque: il y fustige le caractère «clos et atemporel» de la Chari'a (comme c'est original!) telle que la conçoivent les ouléma qui rejettent (à juste titre) «l'approche réformiste» (Ramadan va jusqu'à parler de «tradition réformiste»!!! Contresens monumental, qui aurait laissé pantois un homme comme René Guénon(1), mais passe semble-t-il inaperçu de notre «philosophe» comme de son public, dont on mesure ici le niveau), répète comme une incantation (qui n'est pas sans rappeler les interminables litanies du dhikr des soufis, au sujet desquels d'ailleurs T.R. ne pipe jamais mot) son credo pour une «lecture prenant en compte l'histoire ou le contexte» afin «d'apporter de nouvelles réponses aux nouveaux défis» (lesquels? on aimerait bien le savoir. Quiconque a lu l'Ecclésiaste sait pertinemment qu'«il n'y a rien de nouveau sous le soleil». Vanité des vanités! les «nouveaux défis» dont se gargarise Ramadan ne sont que vanité), ou encore dans le même ordre d'idées, appelle à «plus de créativité dans l'élaboration de réponses aux problèmes de notre temps». Selon cette «approche réformiste» qu'il prône sans crainte du ridicule qui l'assiège de toute part, «les textes, assure-t-il, offrent une large marge de manœuvre à la rationalité humaine» dans les domaines qui ne relèvent pas directement de l'adoration pure, c'est-à-dire à peu près dans tous les domaines. On notera qu'il tient beaucoup à ce hochet, la «rationalité humaine»! Il l'agite à tout bout de champ! Quant à l'intellectualité ou spiritualité pure qui, comme chacun sait, se situe au delà de la rationalité, au delà même de l'humain, et est comme telle niée par le Monde Moderne qui ne reconnaît rien au dessus de la raison dans l'ordre des possibilités humaines, ni rien au delà de l'état humain dans l'ordre ontologique, inutile de dire que sa «marge de manœuvre» est réduite comme peau de chagrin. Appelant à «la participation des spécialistes des sciences dites «profanes» dans l'élaboration d'une jurisprudence musulmane contemporaine» (ce qui signifie, en clair, deux choses: 1. la mise au pilon de la jurisprudence musulmane existante, fruit de plus d'un millénaire de travail et d'élaboration patiente, par des hommes formés à la plus haute spiritualité qui soit au monde; et 2. la subordination des sciences religieuses aux «sciences dites «profane»» (pourquoi «dites», du reste?), donc du religieux au profane, qui n'en est rien que la négation pure; sinon, pourquoi ne pas appeler, inversement, à une participation des spécialistes de la jurisprudence musulmane dans l'élaboration de ces «sciences dites «profane»»? Ce qui donnerait assurément de beaux résultats...), il nous fait part de cette vue profonde (profondément subversive): «les textes ne sont pas les seules références normatives du droit musulman mais l'univers - le livre du monde selon l'expression d'al-Ghazâlî - est une source qu'il faut placer au même niveau que les textes»!!! Il a bien dit: au même niveau que les textes! Pas un petit peu plus bas, même pas une chique en dessous: au même niveau! Voilà donc ce monde pour lequel, à en croire l'Évangile, Jésus aurait refusé de prier, ce monde que le Prophète, dans un hadith célèbre, a comparé à une charogne jetée au bord du chemin, érigé en «référence normative» pour le droit musulman, au même titre que les Textes sacrés! La charogne mise sur le même plan, au même niveau, que la Parole incréée de Dieu! Quand on parle de subversion... et cette parfaite infamie - j'entends ce mot dans un sens purement intellectuel - il la fait endosser à... Ghazâli! Lui qui méprisait tant ce monde, rappelait avec tant d'insistance l'obligation, même (surtout) pour les soufis, de se conformer à la loi extérieure évidemment conçue, au rebours des instances ramadaniennes, comme un «univers de référence clos et atemporel», puisqu'elle ne vise rien d'autre que l'Éternité, puisqu'elle n'a d'autre but que de nous affranchir de la condition temporelle! Enfin, le chic des chics: Ramadan propose rien de moins que de s'atteler à «la promotion de l'esprit critique et (à) la réforme de l'éducation islamique et générale; (à) l'élaboration d'une éthique musulmane en matière de science; (à) la proposition d'alternatives en matière économique globale autant que locale; (à) la transformation radicale du statut des femmes dans les sociétés et communautés musulmanes; (à) la démocratisation, (à) la formation de la société civile autant (qu'à) la gestion de la violence et du rapport à autrui, etc.» (Attention au surmenage!) C'est que ce sont ses deux dadas, ses deux must comme on dit aujourd'hui, la «démocratisation» et la «société civile»! Il semble que ces deux expressions exercent une fascination irrésistible sur l'«esprit» fort peu «critique» (sinon à l'égard d'une FOI qu'il ne se met pas en mal de «promouvoir», sans doute parce qu'elle n'en a pas besoin...) du pauvre «philosophe», comme s'il attendait que l'univers entier, ému, lui tombât dans les bras à les lui entendre prononcer chaque fois qu'il n'a rien à dire, ce qui correspond chez lui à un état chronique. Or il a tout faux: le mot «démocratisation» est, en soi, une révolte contre l'esprit traditionnel, il est à l'opposé du renouveau «aristocratique» dont les sociétés occidentales (et même, hélas, orientales) auraient bien besoin. Tariq devrait lire Le Règne de la Quantité, mais pour cela bien sûr il faut d'abord qu'il apprenne à lire. Quant à la «société civile», son existence suppose des liens de solidarité, de véritables relations entre les personnes qui la composent. Or, c'est justement dans le monde musulman que cette solidarité, que ces relations subsistent dans une certaine mesure; c'est donc là que l'on trouvera une société civile non complètement ravagée par le modernisme et supplantée par les rapports d'argent qui dominent entièrement les sociétés capitalistes «avancées», empêchant toute solidarité effective de s'y (re)constituer. Tariq se vante d'avoir beaucoup voyagé dans le monde musulman ces dernières années. Dommage qu'il ait seulement oublié d'ouvrir les yeux. Il aurait alors vu que c'est l'Occident qui aurait tout intérêt à s'inspirer du «modèle» musulman s'il veut un jour reformer une société civile, c'est-à-dire une société où les rapports humains existent et ne se réduisent pas à des rapports économiques, à des rapports d'argent. Veut-on un exemple? Il y a une infamie typiquement occidentale et moderne qui est totalement inconnue de la société marocaine (pour combien de temps encore?), et, je pense, de l'ensemble du monde musulman: ce sont les «maisons de retraite», ces sortes de goulags miniatures où l'on abandonne les vieux qui ne peuvent plus servir à la production, ni se prendre en charge eux-mêmes, de sorte qu'ils nécessitent des soins qu'aucun membre de la famille ne peut leur dispenser, puisque tous sont au service de la production capitaliste, pour laquelle s'occuper des vieux n'est qu'une perte de temps, une perte d'efficacité qu'il s'agit de réduire au maximum, en concentrant ces vieux dans des institutions spécialisées. J'y ai travaillé, je sais de quoi je parle. (C'est la méthode éprouvée de la «solution finale»: regrouper les éléments problématiques et leur appliquer un «traitement» massif approprié.) Les familles, bien sûr, ne sont pas (ou pas entièrement) responsables. Elles vivent dans un système qui, bien souvent, ne leur laisse pas le choix. Tout cela, au Maroc, n'existe pas, il faut bien en être conscient quand on parle de «réformer» les sociétés musulmanes. Non seulement cela n'existe pas, mais j'affirme, de plus, que c'est absolument impensable. Un Marocain bien né, un homme du peuple marocain, qui craint le feu d'Allâh et mange le saksksou en famille le vendredi, regarderait comme une chose parfaitement révoltante l'idée de confier à d'étrangères mains ses vieux parents, qui lui ont donné le jour, l'ont élevé et protégé alors qu'il n'était qu'un enfant, et que sa religion lui commande d'honorer sous peine d'aller en enfer, fût-il irréprochable par ailleurs. C'est pour cela que là-bas, les vieux s'éteignent dans la dignité, entourés de leur famille, de leurs enfants, qui prennent soin d'eux jusqu'au dernier jour, et non dans des mouroirs remplis d'inconnus qui font leur journée ou leur nuit et, une fois celle-ci terminée, n'en ont plus rien à battre. On pourrait multiplier les exemples de cette sorte, car tout est à l'avenant (bien que de moins en moins, à mesure que progresse la «démocratisation» chère à Tariq). Eh bien! qui a besoin de leçons de «société civile»? En réalité, ce qui subsiste de cette dernière dans le monde musulman aurait grandement besoin d'être protégé contre les pressions déstructurantes émanant de devinez où. Or, c'est la religion islamique, inspiratrice des institutions traditionnelles de l'Islam, qui était et reste le fondement de cette société civile (tout comme elle était celui de l'État, ce qu'elle n'est plus depuis longtemps, avec les résultats qu'on peut admirer chaque jour dans le monde musulman.) On le voit précisément dans l'exemple précédent: c'est la religion qui, conférant au respect des parents, et des anciens en général, un caractère sacré, sacral, - comme dans toute culture traditionnelle du reste, mais à l'inverse de la modernité, - rend impossible et impensable leur abandon concentrationnaire, selon les mœurs occidentales modernes. Voilà ce que Ramadan appelle à remettre en question, avec le résultat ultra-prévisible qui nous pend au nez: une société civile décomposée, à l'occidentale, avec les rapports capitalistes, les rapports d'argent, immiscés partout dans le vide laissé par les relations humaines authentiques. Une société d'individus tous identiques qui vivent chacun leur existence séparée, cloisonnée, et ne communiquent plus que via l'argent... ou via l'internet! Voilà exactement la «société civile» qu'on a en Occident mais, faut-il le rappeler, pas encore dans le monde musulman! Et voilà le modèle que Tariq veut «importer» dans ce monde où les relations interpersonnelles, la solidarité, restent si vivantes, forment un tissu si riche, où le cloisonnement des existences individuelles, qui est la grande misère de l'Occident moderne, a si peu prise! Il y a de quoi devenir complètement mahboul devant de telles étendues de bêtise et de suffisance démagoguenarde. Naturellement, la pression qui s'exerce le plus fort, en ce moment, sur les sociétés musulmanes, pour qu'elles abandonnent les structures et les rapports traditionnels jugés «archaïques» est celle de big K, dont on connaît la paternelle sollicitude pour les hommes et leurs besoins. Si vous voulez vous payer un bad trip sans prendre de LSD, regardez une rubrique économique à la télévision chérifienne: en comparaison, le Wall Street Journal a l'air d'une feuille altermondialiste. C'est bien simple, au lendemain des sanglants attentats de Casablanca, il y a quelques années, le présentateur du JT déclarait triomphalement - alors que les familles des victimes étaient encore sous le choc - que les investissements n'avaient pas souffert!!! Donc tout allait bien! On n'imaginerait pas cela, même en Occident. Cela pour dire qu'en faisant croire (ou du moins en laissant entendre) que ce sont les sociétés musulmanes qui sont en retard sur les sociétés occidentales, en fait de «formation de la société civile», et non l'inverse, et que de plus, la conception du religieux en vigueur y est pour quelque chose, Tariq commet certes une grave malversation; mais en outre, cette malversation n'est pas «innocente»: on voit très bien à qui le crime profite. <br /> <br /> Tout cela est édifiant. Il ne manquerait plus que quelques allusions bien placées au «soufisme», à ibn 'Arabi et au «Soi», pour obtenir un texte digne de Skali. Mais c'est sans doute trop en demander au «frère Tariq». L'idée d'un ésotérisme islamique est beaucoup trop sophistiquée pour lui (c'est-à-dire, pour le public qui le fait vivre), et c'est tant mieux: voilà au moins une idée qu'il ne pourra pas déshonorer ni subvertir. (Contrairement au ci-devant Skali, dont c'est la principale fonction. Tout tient à une différence de public - je devrais dire: de clientèle.)<br /> <br /> À présent, il n'est pas inintéressant de questionner les sources de la «pensée» ramadanienne. Ceux qui ne s'attendent pas à y voir figurer Guénon, ni Vâlsan, ni Evola, ni Borella, ni Henry, ni Mattéi, etc. ne seront pas surpris par cette déclaration de Tariq, toujours sur oumma.com: «Je me suis moi-même spécialisé dans la pensée de Nietzsche que j’enseigne avec Kant, Sartre ou Freud et tant d’autres» (il enseigne la pensée de Nietzsche avec Kant, Sartre ou Freud et tant d'autres, selon les saison vraisemblablement! Il fallait le faire.) Ce qui me laisse rêveur dans ce passage, c'est le «et tant d'autres». Il faut lire, sans doute: «et tant d'autres du même tonneau», c'est-à-dire «et tant d'autres penseurs notoirement antitraditionnels qui après avoir contribué au déclin spirituel de l'Occident continuent, en dépit des critiques incessantes autant que péremptoires dont ils sont l'objet depuis plus d'un demi-siècle de la part d'intellectuels de la stature d'un Vallin ou d'un Henry, (que moi, Tariq, je n'ai évidemment pas lus, en gros 'arobi illettré que je suis), d'être vénérés dans différentes officines d'Orient comme une panacée digne de détrôner les plus grands métaphysiciens locaux, et par leur nature même, ne peuvent servir qu'à justifier le saccage des formes traditionnelles encore debout, comme ils l'ont déjà fait par le passé.» On se doutait bien, de toute façon, que «frère Tariq» ne devait pas s'être beaucoup spécialisé dans la pensée de René Guénon ou dans celle de Georges Vallin; encore moins dans celle de Ghazâli, de Râzi ou d'Isfarâyini. Ni dans celle de Farâbi, ni dans celle de Tûsi, ni dans celles des Ikhwân as-Safâ', de Maïmonide, de Philon d'Alexandrie, de Porphyre ou de Damascius, de Çankara ou de Ramanuja, pour la raison que sa «pensée» à lui étant essentiellement antitraditionnelle, antimétaphysique, antispirituelle, et surtout profondément imbécile comme son géniteur, elle ne peut qu'aller globalement à l'encontre de tous ces penseurs illustres, comme de tout ce que l'humanité a produit d'un peu propre sur le plan des idées, depuis l'origine jusqu'à l'apparition de la déviation moderne. Mais tout de même! L'affreux grimaud soupçonne-t-il qu'il y a infiniment plus - philosophiquement parlant - dans un seul chapitre du Masnavi, dans un seul hymne de Hafez Shirâzi ou d'Emir Khosrow que dans tout l'œuvre de Nietzsche, pour ne rien dire de celui de Sartre? À l'heure où les musulmans, dans leur immense majorité, sont parvenus à un degré d'ignorance à peu près complète d'une tradition spirituelle insurpassable et insurpassée, qui est la leur, quelle espèce de tordu ou d'empoisonneur d'âmes patenté faut-il être pour leur proposer Nietzsche, Kant, Sartre ou Freud en guise de sursum corda? Celui qui sait le rayonnement d'un Mevlena, d'un Hafez (mais Tariq le sait-il?), ne devient-il pas criminel de le tenir sous le boisseau, tout en indiquant aux hommes les fameux bûchers de l'auteur de l'Antechrist (pour ne rien dire du fanal de ténèbres de celui de la Nausée)? Et encore! même en faisant abstraction de la disparité prodigieuse, de l'abîme intellectuel qui sépare un Râzi, un Rûmi, d'un Nietzsche ou d'un Kant, il faut dire que la chute est encore plus dure quand de ces derniers l'on descend à Tariq Ramadan. Diantre! Avoir étudié Nietzsche, Kant, Sartre «et tant d'autres» pour n'en tirer que cette bouillie pour chats et pour chiens qui ferait honte à un concierge du Quartier Latin! Que penserait Nietzsche, le héraut des valeurs aristocratiques (ou de l'idée qu'il s'en faisait), l'inflexible contempteur des masses et de leurs velléités démocratiques, des émollientes sorties ramadaniennes sur la «démocratisation» et la «formation de la société civile»? Ne regrettons donc pas trop que «frère Tariq» ne se soit pas «spécialisé» dans René Guénon ou dans tout autre penseur vraiment spirituel, au lieu de gratter les vieux culots du modernisme à la papa. Le résultat n'aurait peut-être pas été très beau à voir.<br /> <br /> II.<br /> <br /> Ecce homo! Voici l'homme! Ajoutez à tout cela le moralisme à l'anglo-saxonne qu'il tient de son grand-père Frère Musulman, la rouerie inconsciente et candide, qui se déploie surtout contre le moi - car je jurerais que ce pauvre Tariq n'a même pas conscience d'être viscéralement arriviste, de n'être que cela, assoiffé de reconnaissance acacadémico-merdiatique comme d'autres le sont de Vérité et de Justice - et pour couronner le tout, ce ton inimitable, qu'il traîne dans ses innombrables discours (distribués sur cassettes audio ou vidéo dans tout le monde civilisé, de la Campine à la Terre de Feu en passant par la Lorraine, avec mes sabots dondaine, oh-oh-oh, avec mes sabots), ce ton qui tient à la fois du méchant comédien, de l'avocat éméché pour barreau de province, du pion de séminaire jésuite, du VRP en articles de pompes funèbres et du BHL version peuple(2); autant de traits qui suffiraient à me rendre sa personne aussi attrayante que celles de Meddeb, de Naipaul ou d'autres manifestations anthropoïdes du crétinisme environnant. L'apostasie ajoute finalement peu de chose à ce portrait attachant. Toutefois, j'apprécie que les apostats aient un minimum d'esprit. Je m'entendrais mieux avec un Renan qu'avec un Ramadan. Je ne parle même pas d'un Omar Khayyâm… Tous deux, malgré les dénégations élégantes qu'ils opposent à l'immortalité de l'âme et à la réalité de la sainteté, malgré leur mépris de ce qui fait la grandeur de l'homme et leur navrante dévotion pour tout ce qui l'abaisse, me semblent moins perdus pour Dieu, et d'abord pour l'Esprit, que ce lamentable histrion néo-spiritualiste et pontifiant qui se prend pour un homme pieux, et plus encore, pour un croyant responsable, intellectuel de surcroît, parce qu'il s'acquitte des obligations religieuses minimum, s'abstient de détrousser et de massacrer son prochain, milite en faveur des Palestiniens, gesticule à l'université, prêche un altruisme vague et sentimental censé représenter la quintessence du message prophétique, réduit ainsi à une vinasse dont le cuisinier de l'auteur du Banquet ne voudrait pas pour son marmiton, tout en crachant, avec toute la nomenklatura «islamoderniste», avec les Belcheikh, les Boubakeur, les Arkoun, et autres raclures de cet acabit, sur ce que les plus grands esprits de l'Islam, les maîtres spirituels les plus incontestés, tenaient pour intangiblement sacré. Oui, Renan était mille fois plus chrétien, Omar Khayyâm plus musulman, c'est-à-dire plus intimement unis, plus reliés, quoi qu'ils en eussent, plus intimement réunis à l'esprit, à l'âme, à la chair même de leur tradition, que ce «bon musulman», si pieux, respectueux des normes et des consignes, donné comme exemple à suivre pour toute une jeunesse en quête d'identité, qui ne se permettrait sûrement jamais, comme les deux autres, une parole irrévérencieuse ou inconvenante…<br /> Certes, ce n'est pas le «frère Tariq» qui irait, comme Renan, écrire des saletés sur le Christ, ou comme Khayyâm, courir le guilledou après bu deux ou trois verres de vin. Seulement, il ne serait jamais venu à l'idée de l'auteur de la Vie de Jésus d'aller servir la messe sans rien lâcher des idées anti-traditionnelles qui émaillent son œuvre. [En vérité, il serait plus correct de dire que l'œuvre de Renan n'est qu'une vaste traînée de vomi sur la tradition. Mais ce vomi est encore plus ragoûtant, mille fois, que l'affreuse tambouille ramadanienne. Ramadan, lui, prétend respecter la tradition… il la respecte, en effet; comme le taxidermiste respecte l'animal qu'il vide délicatement, artistement de ses entrailles pour les remplacer par du foin. C'est exactement ce que font Ramadan et les grimauds de son espèce: ils vident la tradition islamique de ses entrailles métaphysiques et spirituelles pour les remplacer par le foin de leurs discours lénifiants. Foin évidemment arraché à pleines mains à toutes les charrettes de la (post-) modernité, qu'ils suivent avec un entrain de tous les diables.] Et il lui eût vraisemblablement paru au-delà du ridicule de soutenir la compatibilité de l'évolutionnisme darwinien avec le récit de la Genèse. Ayant cru au premier, il a bonnement conclu à la fausseté du second et de toute la doctrine attenante. C'est idiot comme l'hypothèse évolutionniste elle-même, et comme toute la métaphysique moderne, mais c'est droit, on peut dire ce qu'on veut. Tariq, lui, a convenu il y a quelques années, lors d'un débat télévisé, qu'il adhérait en bon simien moderne au dogme évolutionniste, mais il n'a pas conclu à la nécessité de renoncer à la simagrée religieuse. C'est normal: la tradition - aurait dit Péguy - est un système de rectitude, et c'est en cela que Renan et d'autres restent chrétiens ou musulmans malgré eux dans une certaine mesure. Tandis que le modernisme est - dixit Péguy - un système de complaisance, il est le domaine du torve, du sinueux, du circonflexe et du tout-compatible, du manque essentiel, ontologique, de rectitude et de cohérence. [La rectitude chez Renan, bof, d'accord, on aura vu mieux. Mais c'est comme chez tous les modernes «ancienne manière», qui appartenaient à ce que Guénon appelait la «phase de solidification» du Monde Moderne. Ils avaient encore assez d'honnêteté intellectuelle pour rejeter nettement des idées auxquelles leur condition de modernes leur imposait de ne plus croire. Et cette honnêteté même était encore un reliquat des temps traditionnels; c'est pourquoi Péguy, avec une lucidité confondante, traitait les modernes «ancienne manière» d' «ingrats». Rien de tel évidemment chez les individus comme T.R., qui appartiennent clairement à ce que Guénon nommait la seconde phase ou «phase de dissolution» du Monde Moderne, dans laquelle même ce reliquat a disparu, ce qui leur permet de s'emparer sans vergogne des formes d'une tradition dont leur condition leur impose toujours de renier l'esprit.] Et c'est pourquoi T.R. n'avait même pas besoin d'apostasier pour être au ban de l'islam et de toute forme traditionnelle; il lui suffisait amplement d'être ce qu'il était: un cornichon moderniste, un de plus. De même en aucun cas il ne serait venu à l'idée de l'auteur des Rubayyât de jouer les dévots. On peut même dire à son honneur que s'il lui était venu le besoin de jeûner et de se prosterner, d'échanger le fumet du bon vin contre les vapeurs de l'encens et la poussière des caboulots contre celle des mosquées, il aurait d'un même mouvement, d'un même bloc, adopté la pensée qui va avec; mais faire la prière avec les hommes tout en continuant à narguer la vérité traditionnelle dans des poèmes d'un scepticisme ombrageux et charnel, - au demeurant magnifiques, - voilà qui eût été impensable pour quelqu'un comme lui, voilà qui ne fût pas du tout entré dans son système de pensée, qui était un système de droiture, un système de rectitude, une chevalerie de l'esprit. C'est en cela que Khayyâm tenait de beaucoup plus près à l'islam que Ramadan, c'est en cela qu'il restait, malgré tout, musulman, ne serait-ce que par une ou deux fibres de son être; tandis que T.R. pourrait aussi bien n'avoir jamais franchi le Rubicond, être resté sagement domicilié à l'enseigne de l'islam, son islam n'en aurait pas moins été une chose fort curieuse, fort inconnue et même insoupçonnée des générations précédentes, ressemblant beaucoup moins à la foi des hommes du 12e ou du 13e siècle que la mécréance d'un Omar Khayyâm. Mais en voilà assez avec cette comparaison inutilement désobligeante pour un des plus grands poètes persans - le jugeât-on égaré.<br /> <br /> III.<br /> <br /> En somme, ce que je veux dire, c'est que le «cas» T.R. illustre à merveille le drame du déracinement. Il montre que la dérision d'un islam «fondamentaliste» - comme celui de la mouvance des Frères Musulmans, dont est issu le «frère Tariq» [en dépit des dénégations affolées qu'il oppose à quiconque s'avise de lui rappeler ses troubles origines], ou comme celui des «salafis», dont il n'est pas si loin qu'il le pense - qui prétend faire table rase du passé, reléguer l'histoire, la tradition, (non sans se revendiquer d'une lecture «historique et contextuelle» dans le cas de Tariq; mais cela ne saurait abuser que ceux qui ignorent la différence entre l'histoire au sens des modernes et l'histoire traditionnelle, qualifiée par ces derniers de «légende» pour mieux la disqualifier), qui se détourne de ce que ses hommes, génération après génération, ont aimé, respecté, défendu amoureusement, qui n'entend plus en lui-même, lorsqu'il ferme les yeux, l'écho imperceptible mais bien vivant des rythmes ancestraux, ne s'enflamme plus de ce qui enflammait les pères, ne comprend plus le langage des aïeux, ne vibre plus aux accents de leur musique et de leur poésie, ne rêve plus leurs rêves, ne pense plus leurs pensées, ne sent plus leur sang battre dans ses artères - une pareille dérision n'est jamais bien loin de l'apostasie pure et simple. Oui, voilà ce qu'il faudrait dire, et clamer sur les toits, en citant T.R. comme exemple-type: le «fondamentalisme» n'est pas un rempart contre le danger du reniement, il en est plutôt l'antichambre, ou pour mieux dire, il le porte déjà dans ses flancs putrides. <br /> Tout s'enchaîne admirablement dans le «parcours intellectuel» du cuistre Ramadan, depuis les salles minables de banlieue où il prononçait ses premiers discours d'inspiration poussivement moralisatrice, jusqu'à son récent duetto très réussi avec le renégat de mai 68 Daniel Cohn-Bendit, sur lequel je reviendrai plus loin s'il plaît à Dieu.<br /> <br /> Oui, toute l'affaire de «frère Tariq» est résumée d'un trait par ces mots de Péguy, qu'on ne citera jamais assez.: <br /> <br /> «Les philosophies s'en vont. Et nous aussi, de notre côté, nous en allons. L'humanité s'en va. Ces grandes passions qui marquèrent les grandes étapes de l'humanité dans le temps font comme ce temps, poésies diverses: elles s'en vont. Mais nous, quand nous commençons à nous déprendre d'une métaphysique et d'une religion, d'une philosophie, et quand nous voyons que nous en sommes dépris, ne nous vantons pas, et surtout ne faisons pas les malins, ne nous gonflons pas et ne faisons pas les sots, et ne disons pas que nous l'avons dépassée. Car il n'y a pas de quoi nous vanter et faire les malins. Tout ce qui se produit alors signifie simplement que nous sommes désaccordés.<br /> <br /> Un esprit qui commence à dépasser une philosophie est tout simplement une âme qui commence à se désaccorder du ton et du rythme, du langage et de la résonance de cette philosophie. Quand nous ne consonons plus, alors nous disons que nous commençons à nous sentir libérés.<br /> <br /> C'est vraiment en ce sens que le moderne est libre. En ce seul sens.(…)»<br /> <br /> T.R. et ses pareils témoignent simplement de ce moment historique où un peuple, une race, un individu, commencent à se «désaccorder du ton et du rythme» de leur civilisation traditionnelle, à ne plus «consoner». Alors ils disent qu'ils sont «libérés» de préjugés obsolètes comme la Chari'a, le califat, le djihad, et de façon générale, l'immutabilité des commandements divins, leur transcendance par rapport à l'histoire. (Et aussi, symétriquement, de l'histoire de cette transcendance.) Cette «libération» signifie seulement que ce qui faisait sens pour ceux qui les ont précédés ne fait plus sens pour eux. Ce sont des pans de langage - puisque tout est langage, en particulier les rites, les institutions, etc. Tout cela a pour fonction première et ultime de signifier, et de signifier la Présence de l'Ineffable - des pans de langage délaissés par la signification, des pans de tissu traditionnel délaissés par la vie, c'est-à-dire désinvestis par les forces de l'Esprit. À la limite, on comprend ces malheureux musulmans dont la «constitution intérieure», pour parler comme Guénon, est en tout point celle d'hommes modernes, de vouloir se débarrasser au plus vite de notions encombrantes telles que la Loi révélée, le djihad, etc. puisque ces notions n'ont plus de signification pour eux, sont désertées par le sens et donc par la vie. Il fallait se demander au départ le pourquoi de cette désertion, de cette perte de sens, au lieu de l'entériner benoîtement en se congratulant devant les journalistes attendris. Mais le mouvement général du monde moderne est un déni général de signification, et subséquemment aussi un déni de vie - déni de sens égale déni de vie, - un refus d'assumer les responsabilités de la Vie, une fuite dans l'absurde, une fuite éperdue dans le néant, comme J. Borella, M. Henry «et tant d'autres» l'ont montré indépendamment. Si T.R. savait lire, et si l'Institution moderne, étouffoir de la pensée et tombeau du cœur, dont il est le chouchou, le petit boyau chéri, pouvait raisonnablement le laisser approcher des auteurs aussi subversifs (de son point de vue), peut-être cela lui aurait-il épargné de devoir suivre le mouvement. Mais Tariq est fait pour suivre, et même pour montrer la voie aux autres, comme son nom l'indique. Non pour aller à contre-courant. Non pour faire cavalier seul. Donc il suit, c'est-à-dire qu'il se désaccorde et qu'il «dé-résonne», comme les autres. Il ne faut pas chercher plus loin: Tariq, c'est le moment d'un monde qui commence à «se déprendre d'une métaphysique, d'une religion, d'une philosophie», car l'islam traditionnel était certainement tout cela et plus, à se déprendre d'une «grande passion» dont ils n'entend plus le langage, d'une langue dont ils ne comprend plus la grammaire - car l'islam était aussi une langue de l'Esprit, et comme tel il avait sa grammaire; et rappelons pendant qu'on y est que «Les grandes métaphysiques sont des langages de la création. Et à ce titre elles sont irremplaçables. Elles ne peuvent ni jouer entre elles, ni se remplacer, ni suppléer mutuellement, ni se faire mon service les unes les autres. Et ce qu'elles sont le moins, c'est interchangeables. Car elles sont les unes et les autres, toutes, des langages éternels.» Ici, on est de nouveau dans Péguy, c'est-à-dire à une altitude conceptuelle où il devient franchement difficile d'encore discerner en Tariq un objet, un quelque chose auquel pourrait s'appliquer la réflexion philosophique, ou même la réflexion tout court. Faisons un effort quand même. Nous ne sommes pas, nous, rebutés par la moindre difficulté, nous ne craignons pas de nous mettre tout un monde à dos, quand ce monde se félicite d'un suicide culturel baptisé progrès suivant les règles de la sémantique novlangue. Il me semble que les deux passages précédents livrent la clef de Tariq et du phénomène collectif qu'il représente - mieux, qu'il incarne. L'islam traditionnel est bien un langage, tout en lui est langage, ce qui veut dire que tout en lui signifie; aucun mot n'est de trop; et en lui, tout a nécessairement la signification la plus haute, tout pointe vers l'Esprit. Comme toute «grande métaphysique», et à un degré plus éminent encore que d'autres «grandes métaphysiques», c'est un langage éternel. Mais ce qui n'est pas éternel, c'est l'intelligence de ce langage parmi les fils et les filles des saints et des saintes qui ont «fait» ce langage, qui l'ont façonné à leur image, au fil des siècles, avec la poussière de leur silence. Cela, seul, n'est pas éternel. L'islam, comme le platonisme, comme le christianisme, comme le bouddhisme ou d'autres «grandes métaphysiques», fut de ces «grandes passions qui marquent les grandes étapes de l'humanité.» Une grande passion de l'humanité peut durer mille, deux mille, trois mille ans, six mille ans peut-être; en tout état de cause, elle ne saurait durer plus que l'humanité elle-même. Or le poète l'a dit: l'humanité s'en va. Ses passions la quittent, et elle aussi les quitte. Elle se déprend, elle se désaccorde «du ton et du rythme» de ce qu'elle a aimé éperdument, passionnément. Elle se refroidit, comme l'univers qui, selon une certaine physique moderne, tendrait inexorablement vers la dégradation maximale de son énergie et la perte de toute organisation, vers le grand froid cosmique et l'indifférenciation de la mort. Ainsi de l'humanité. Alors, quand on commence à être bien désaccordé, quand Mozart ne frappe plus l'oreille sensiblement autrement que le sabot d'un cheval, arrivent les sots et les malins, qui expliquent avec de grands airs comiques que c'est le progrès, la liberté, youkaïdi youkaïda (you-Qaïda!), qu'il était grand temps qu'on dépassât une philosophie, une métaphysique, une grande passion qui avait «fait son temps», qu'il y a lieu de s'en féliciter, de se gonfler, d'enfler le jabot, de se faire mousser, devant les journalistes toujours attendris. Mais ce qui se passe en réalité est beaucoup plus prosaïque: nous n'avons rien dépassé du tout; nous sommes juste désaccordés, point à la ligne. <br /> <br /> Parvenus à ce stade, vous pensez bien que la tentation doit être immense, pour les malheureux, d'aller jusqu'au bout, ou du moins le plus loin possible - car on ne va jamais jusqu'au bout de l'erreur ou de l'égarement, même Satan n'en est pas capable, - de boucler la boucle, d'abjurer purement et simplement, de déposer au coin de la première borne venue cette vieille cotte de symboles sacrés que l'on ne comprenait plus depuis longtemps, et dans laquelle il faut dire qu'on avait l'air bien engoncé. Les pauvres, on les voyait depuis un petit temps s'agiter en transpirant, pressés de se défaire de ce costume de cérémonie qui a pu avoir son élégance au temps de leurs tri- ou quadrisaïeux, mais qui ne leur allait plus du tout, car il leur manquait la disposition naturelle pour porter ce genre d'effets, et la longue habitude du dépenaillé moderne n'a vraiment rien arrangé. On serait presque soulagé pour eux…<br /> Soit, la raillerie est facile, me direz-vous, et n'apporte rien dans un moment aussi tragique. N'empêche, ce que je dis là semble coller d'étonnamment près à la réalité. Il suffit de les voir à l'œuvre, c'est-à-dire en train de déprécier celle des pères - pardon, de «l'ouvrir aux adaptations nécessaires» - du haut de leur incompréhension vertigineuse, par attrait compulsif pour la vacuité moderne, comme un homme en proie au vertige se jette dans le vide, mû par une force mystérieuse. Et mystérieuse est ici le mot qui convient, car c'est en quelque sorte au dernier des grands mystères sacrés que nous assistons: le mystère de la liquidation systématique des formes sacrées, par des hommes qui ne semblent pas maîtres de leurs actes, agissent comme des somnambules, des frénétiques. Récemment, le «frère Tariq» nous en a offert un exemple significatif parmi d'autres.<br /> <br /> IV.<br /> <br /> Il y a quelques jours, le site Quibla.net, le «quotidien online des musulmans libres et actifs et leurs alliés»(3), reprenait sous le titre «Tariq Ramadan-Daniel Cohn-Bendit: 1 à 0», un article du torche-cul Libération, intitulé à l'origine «Cohn-Bendit se frotte au controversé Tariq Ramadan». Je reproduis, avec quelques commentaires entre [], l'essentiel de cet article, qui vaut de l'or: <br /> <br /> «Mercredi soir, au Parlement européen, on se bousculait pour assister à la confrontation entre le soixante-huitard libéral-libertaire et le quadragénaire musulman altermondialiste. Beaucoup de femmes, presque toutes voilées, dans un public essentiellement composé de musulmans belges, français et hollandais.<br /> <br /> Face à un Cohn-Bendit qui s'était juré de ne tolérer aucune ambiguïté [poisson d'avril], l'élégant Ramadan a déroulé un discours irréprochable [la barre de l'irréprochabilité étant fixée par un larbin de Rotschild nourri aux flancs de la truie journalistique, on n'est pas exposé au risque de s'y cogner le front par inadvertance, à moins d'être un nain de jardin atteint de sciatique]. Il «refuse» l'interdiction faite au musulman, sous peine de mort, de quitter sa religion. Il conteste le fondement théologique de cet interdit. Pour en finir avec les mariages forcés, les répudiations et les violences faites aux femmes, il faut, dit-il, «changer l'islam de l'intérieur».<br /> <br /> Ramadan demande une «désislamisation» des problèmes sociaux qui s'expriment en France à travers la crise des banlieues. Le vrai communautarisme, selon lui, c'est celui qui parque dans des ghettos «une jeunesse musulmane de la troisième, voire de la quatrième génération pour qui la question n'est plus celle de l'intégration mais de l'accès à la citoyenneté».<br /> [Crème d'abruti! La «question» pour les musulmans n'a jamais été celle de «l'intégration», qui signifie renier ce que l'on sait. La question était et reste pour eux de préserver l'intégrité de leur témoignage dans une société dont Bernanos affirmait déjà qu'elle est l'ennemie de toute spiritualité, de toute vie intérieure. Quiconque accepte l' «intégration» doit être considéré comme renégat au moins en puissance, sinon en acte.]<br /> <br /> Et quand le président du groupe Vert objecte que, sans «islamiser» les problèmes, on peut «s'interroger sur ce qui se passe aujourd'hui en France dans des quartiers où des enfants juifs ont peur d'aller à l'école», Tariq Ramadan rappelle solennellement qu'il a toujours été «parfaitement clair» dans sa dénonciation de l'antisémitisme. Il annonce l'avènement d'un islam qui n'a «aucun problème avec aucune législation européenne» et qui s'accommode parfaitement de la «sécularisation comme espace de gestion du religieux». [Fantastique! Autrefois, on croyait en Dieu; aujourd'hui, on «gère le religieux». Avant, la religion régissait tous les aspects de la vie, aujourd'hui on sécularise tout, et la religion, bonne fille, s'accommode. Naguère, elle incommodait plutôt, en empêchant de vivre comme des porcs; depuis, elle est devenue si accommodante. Il est avec le ciel des accommodements, lit-on dans Tartuffe. En fait d'accommodements, «frère Tariq» en connaît un rayon. De Tartuffe à Tariq. Allons, tout cela c'est du réchauffé. Les chrétiens nous l'ont déjà faite il y a trente ans avec Vatican II. Et avec le résultat que l'on sait: églises vides, société décomposée, taux de suicide en expansion galopante, pour ne pas parler d'effets beaucoup moins visibles mais tout aussi graves. Je pense qu'il faudrait envoyer Tariq et les musulmans «sécularisés» gérer le religieux dans l'espace. Ils s'accommoderont très bien.]<br /> <br /> «Je ne sais pas ce que dit Tariq Ramadan ailleurs, mais ce qu'il dit ici a sa cohérence», a lâché Cohn-Bendit, pour conclure. C'est alors seulement que le débat s'est échauffé avec une théâtrale colère de Ramadan: «Dire cela, c'est rendre impossible notre dialogue. Il faut arrêter de fantasmer. On parle de double discours, de double appartenance, on tient sur nous le discours qu'on a tenu sur les juifs. Ta responsabilité c'est de savoir ce que je dis ailleurs! » «Tu ne vas tout de même pas m'obliger à lire tout Tariq Ramadan! » a fait remarquer son interlocuteur [dont on comprend fort bien l'angoisse face à une telle corvée]. «Alors, a répondu l'autre, si tu n'as pas la preuve de mon double discours, tu dois me faire confiance.»»<br /> <br /> Je sens que je pourrais me creuser les méninges pendant mille ans, dans la posture immortalisée par Rodin ou dans toute autre, je pourrais me cogner la tête contre les murs, danser le branle et le quadrille, essayer de tout, rien n'y ferait: jamais je ne parviendrais à comprendre ce qui a pu se passer dans la tête du rédacteur du «quotidien des musulmans libres et actifs» lorsqu'il a eu l'idée de titrer: Ramadan-Cohn-Bendit: 1 à 0. Quelle absurdité! Si l'on tient absolument à voir cette rencontre comme un genre de match de boxe, un combat à la loyale où le but est de marquer le plus de points au détriment de l'adversaire - et non par exemple comme un passage de pommade entre deux renégats arrivistes auxquels il arrive de se rendre de menus services - alors une chose est certaine: ce n'est en tout cas pas Tariq qui est sorti vainqueur de la confrontation. Quoi! Il a concédé absolument tout ce qu'on pouvait concéder, et bien davantage. Il a dit exactement ce que l'adversaire pouvait souhaiter entendre: que la religion était prête à s'accommoder d'une pensée qui la nie et qui l'expulse de tous les domaines de la société, ce que l'on nomme pudiquement «sécularisation». Un mot très à la mode, bien dans l'air du temps, sécularisation! Je lui connais un synonyme: profanation. Le profane envahit progressivement ce qui était autrefois le domaine du sacré, c'est-à-dire du sens et de la Vie. On se déprend, on se désaccorde, et les malins crient victoire, devant les journalistes de plus en plus attendris! Et il ne se contente pas de déclarer cette «sécularisation», cette profanation, tolérable ici en Occident où elle est de toute façon un état de fait contre lequel on ne peut pas grand-chose, à part adopter intérieurement une attitude de résistant. Non, il veut encore l'imposer au monde musulman, au reliquat des vieilles sociétés islamiques où le sacré a encore une visibilité en rapport avec sa dignité originelle et imprescriptible: comme un vulgaire abou Zeyd, il veut «changer l'islam de l'intérieur», c'est-à-dire l'obliger à se conformer à la mentalité profane de l'Occident moderne, troquer la foi des anciens, ce fanal qui jetait sur les plus humbles choses une lueur d'éternité, contre une «gestion du religieux» à l'occidentale, intégrée dans un paysage général d'expropriation du sacré et du transcendant, un paysage de déni de sens, de déni de Vie. Que peut-on imaginer de plus total en fait de capitulation? <br /> <br /> Malgré cela, comme on pouvait s'y attendre, il n'obtiendra pas son satisfecit. L'adversaire, en vieux renard de la politique, décidé à mener la danse à sa guise, après s'être amusé des efforts grotesques du pauvre Tariq pour paraître le type même du bon musulman «sécularisé» au goût de l'Occident moderne, l'envoie brutalement promener par cette pirouette digne du Boulevard: «Je ne sais pas ce que dit Tariq Ramadan ailleurs, mais ce qu'il dit ici a sa cohérence». Et vlan! Après cela, si T.R. possédait encore un reste de dignité, il aurait compris qu'on s'était payé sa bobine depuis le début, et aurait refusé de marcher davantage. Au lieu de cela, il s'accroche pathétiquement à l'espoir qu'on réponde à ses caresses: «Dire cela, c'est rendre impossible notre dialogue» se récrie-t-il comme une femelle tremblante de désir insatisfait. Et comme son adversaire, qui a compris qu'avec ces musulmans on pouvait décidément tout se permettre, lui inflige cet ultime camouflet: «Tu ne vas tout de même pas m'obliger à lire tout Tariq Ramadan! » l'intéressé, qui n'a toujours rien compris (le jeu était parti pour durer cent ans), revient encore à la charge: «Alors, si tu n'as pas la preuve de mon double discours, tu dois me faire confiance», implore-t-il. Encore, encore des claques, mon Dany! C'est si bon! Tu ne peux pas savoir combien j'aime sentir ta poigne virile s'abattre sans ménagement sur mon cuir délicat. Cela me donne le sentiment d'exister…<br /> <br /> Cette scène entre Tariq et Dany, vraiment digne d'un spectacle de cabaret, m'en rappelle une autre, décrite par Bernanos dans une des pages les plus brillantes, mais aussi les plus justes au niveau de l'observation psychologique et historique, une de ces pages qui ne vous sortent plus de la tête après les voir lues, pourvu que vous ayez été confronté quelques fois, pour votre malheur, à des cas de figure comme Tariq Ramadan; une page de La Grande Peur des Bien-Pensants, enfin:<br /> <br /> «Rien de plus bassement tragique que cette bataille à coups d'équivoques entre la tolérance des bien-pensants et la tolérance des mal-pensants, toutes deux d'aussi médiocre aloi. Car tôt ou tard, huit fois sur dix, un Français bien né, né de bonne mère, finira par convenir du bienfait historique de l'Église, de l'excellence de sa morale, et s'il refuse encore son adhésion aux dogmes, du moins ne parlera-t-il plus qu'avec respect d'une discipline dont l'expérience de vingt siècles démontre, en dépit de certaines rigueurs, la profonde, la surprenante humanité. Mais il n'aura, en revanche, que risée ou mépris pour le bedeau artificieux qui jure sur son épée de fer-blanc que la déclaration des Droits de l'Homme est un vieux texte rédigé par les chapelains du pape Innocent III pour servir de règle à la Sainte Inquisition. «Alors, vous êtes réellement partisan de la liberté d'opinion? - Sans aucun doute. - Pour vous comme pour moi, l'erreur et la vérité ont les mêmes droits, ou plutôt il n'y a ni vérité ni erreur, rien que la démocratie, c'est-à-dire une vérité provisoire qui ne dure pas une minute de plus que la majorité qui l'a faite? - C'est absolument ce que m'enseigne le Syllabus. - Que savez-vous de la monarchie très-chrétienne? - Qu'elle a été heureusement détruite, vers 1793, par des gens de bien qui en proclamant à coups de canon la Liberté, l'Égalité, la Fraternité, comme l'avait fait avant eux Notre-Seigneur Jésus-Christ, ont été les véritables fourriers de l'Évangile. - Très bien. Que désirez-vous? - Un petit siège de sénateur, ou même de conseiller général. Au besoin, je me contenterais d'un bureau de tabac. - Voilà toujours une paire de claques. Allez la renifler plus loin.»»<br /> <br /> N'est-ce pas, que c'est exactement cela? À celui qui ne voit pas le rapport entre cette page bernanosienne et le numéro Tariq-Dany du mois passé, je n'ai pas grand-chose à dire. Je ne m'adresse qu'à ceux pour qui l'air de famille du «frère Tariq» avec le «bedeau artificieux» dont il est question ci-dessus saute aux yeux. Ceux-là seuls méritent à mon sens le nom de vivants. Il serait vain de regretter qu'on n'ait pas fait lire cette page à Tariq il y a très longtemps, quand il n'était pas encore un prédicaqueteur connu et pouvait disposer d'un reste d'enfance et de sincérité. (D'ailleurs tous regrets sont vains, mais là n'est pas la question.) Il est par trop évident que Tariq Ramadan appartient à la même variété d'homoncules que ces bourgeois bien-pensants à propos desquels Bernanos écrivait: «À toutes les questions qu'on pose, ils font la réponse dilatoire chère aux enfants: «Républicain? - Autant que vous! - Démocrate? - Autant que vous! - Socialiste? - Autant que vous! - Clérical? …» Ils se taisent aussitôt, bégayent de vagues excuses, parlent du respect des consciences, des droits de l'homme, des horreurs abolies de l'Inquisition, arborent comme un pavillon ce livide sourire de Jean-Fesse à quoi se reconnaît le catholique honteux, acculé à un oui ou à un non, et qui se demande: «Mon curé m'a permis toutes les concessions. Mais puis-je aussi concéder Dieu? »» Tariq, sans doute, ne va pas jusqu'à concéder Dieu. Il se contente de concéder l'Homme…<br /> <br /> L'histoire se répète; incomplètement, mais elle se répète. Hier les chrétiens, aujourd'hui les musulmans. Les temps, les noms, les costumes changent, mais les situations, les attitudes et les types psychologiques restent étrangement les mêmes. Ne voit pas celui qui ne veut pas voir.<br /> <br /> Après tout ce qu'on vient de lire, quoi de moins surprenant que le fait que Tariq Ramadan ««refuse» l'interdiction faite au musulman, sous peine de mort, de quitter sa religion». Il faut commenter un peu cette phrase car elle mérite au moins une cocarde, (ce qui veut dire «vaut le détour» si je ne me trompe). D'abord, notez le comique de circonstance, contextuel, dans l'expression «l'interdiction faite au musulman…». Faite par Qui? Si je disais que je vous le donne en mille, je serais sûrement blasphémateur… Donc, l'expression même par laquelle le journaliste véreux (excusez ce pléonasme) qui a écrit l'article relate la prise de position «irréprochable» de T.R. sur cette question particulièrement sensible pour l'imbécile moderne incapable de comprendre qu' «au-delà de la Vérité, il n'y a que l'erreur», en dénonce involontairement le véritable caractère: T.R. est bien en train de «refuser» une interdiction faite par Dieu au musulman; ce qui s'appelle exactement: se rebeller contre l'Ordre de Dieu, et vaut déjà une sommation. (Trois sommations valent une tête tranchée). Ensuite, on comprend aisément le «refus» de Tariq, on s'étonne même qu'il n'ait pas proposé la création d'un fonds international pour encourager et assister les musulmans désireux de quitter une religion à laquelle il serait sans doute bien en peine de fournir une seule raison valable d'adhérer. En effet, même Tariq a dû finir par s'apercevoir, à la longue, que l' «islam» tel qu'il le présentait, ou que l'espèce de puritanisme édulcoré, mitigé jusqu'à la tiédeur et saupoudré de mystique progressiste, qu'il nommait de ce nom, façon de code de l'hygiène expurgé de tout mystère, de tout surnaturel vrai, attentif à prévenir le moindre débordement, la moindre manifestation d'enthousiasme incontrôlé, n'avait pas vraiment de quoi retenir les quelques intelligences naturellement exaltées qui dans toute nation, rejettent d'instinct le ron-ron d'une piété trop convenue et cherchent la Vérité, c'est-à-dire l'Absolu, au besoin jusqu'à l'oblation totale, jusqu'au sacrifice de leur vie - geste dont un Tariq ne saurait même pas concevoir la beauté. De telles âmes trouveraient peut-être de quoi apaiser leur dévorante faim de Mystère et de Splendeur dans l'islam éternel, celui dont les Tariq et autres Skali sont le tronc pourri qui cache la forêt, et n'auraient subséquemment pas besoin d'aller voir ailleurs; elles rencontreraient peut-être un écho à leurs aspirations les plus hautes dans la fameuse oraison jaculatoire du cheikh Ansâri (qu'Allâh sanctifie son sirr): <br /> <br /> «Mon Dieu! si c'est en Te cherchant que quelqu'un T'a trouvé, c'est bien en m'enfuyant que moi je T'ai trouvé. Si c'est en T'évoquant que quelqu'un T'a trouvé, c'est bien en oubliant que moi je T'ai trouvé. Si c'est par la recherche que quelqu'un T'a trouvé, j'ai trouvé que c'est Toi qui donnes la recherche. Tu es Toi-même le moyen qui fait parvenir jusqu'à Toi. Au début Tu étais, à la fin Tu seras. Tu es tout et c'est tout! Tout le reste est folie.»<br /> <br /> On pourrait même escompter que, lassées à la fin du compte d'une spiritualité réduite à une vague «éthique» religieuse qui n'a plus aucune prise sur la vie, qui n'a même plus assez de souffle ni assez de voix pour dénoncer l'absurdité grandissante de la prétendue «vie» quotidienne, l'inanité de la mentalité profane dans sa prétention à prendre en charge tout ce que le Sacré transformait jadis en acte d'adoration, c'est-à-dire en acte d'Amour, en manifestation de la Vie absolue, les quelques âmes éprises d'Idéal, d'Absolu, qui subsistent dans toutes les nations en dépit de la chiennerie moderne, trouvassent dans cet islam-là un point de ralliement, une arche de lumière pour échapper à «la vague d'indécence et de décrépitude», au «lourd écrasement sous la banalité» (dixit Péguy derechef), qui menace actuellement de submerger les ultimes restes épars de ce qui fut l'humanité.<br /> <br /> De l'islam d'Ansâri à celui de Ramadan! Que ces mêmes âmes soient épouvantées par l'inintérêt presque fascinant de ce dernier, et préfèrent se donner à n'importe quelle idole qui leur promette un peu de rêve et de magie, plutôt que de suivre cette caravane de réalisme marchant robotiquement vers l'abolition de l'humanité pensante au profit de la seule humanité calculante (et occasionnellement pérorante), qui le leur reprocherait! Allons, les jeux sont faits depuis longtemps, n'est-ce pas? Pour moi, je sais que ce sera l'islam ou rien, mais si j'avais à choisir entre l' «islam» de Ramadan - celui-là même qu'il s'efforce de promouvoir dans le monde musulman, donc! - et le christianisme de Bernanos - le Bernanos du Journal d'un curé de campagne, - ou celui de Rusbrock l'admirable, Seigneur! Mon choix serait vite fait, et ce n'est pas la menace d'aucun sabre qui pourrait jamais me retenir dans une maison aussi pourrie.<br /> <br /> Si bête et si atone soit-il, l'infortuné Ramadan doit bien sentir cela, au fond de lui. D'où son combat presque comique pour assurer aux musulmans le droit de quitter une religion qu'il s'ingénie à rendre odieuse et ridicule. Et tant qu'à faire, il n'a pas tort: puissent les musulmans abjurer en masse cet islam de compromis et d'accommodements tous plus lâches et plus puériles les uns que les autres, pour revenir à la voie des prophètes et des saints, à la voie de Bistâmi, d'Ansâri, d'al'Attar, d'al Jâmi et des autres, celle qui est la plus «réaliste» de toutes car elle mène à l'immersion dans l'unique Réalité, celle, enfin, que personne n'a jamais reniée après l'avoir expérimentée pour de vrai! <br /> <br /> V.<br /> <br /> Pour finir, j'aimerais inviter le lecteur à méditer sur le fait historique suivant. Bien sûr, ce serait du pur délire schizophrénique de supposer que cette buse de Tariq - si elle lit ceci - pût tirer une leçon de l'histoire ou de n'importe quoi, fût-ce d'une paire de claques ou d'un coup de pied au fondement. N'importe, voilà de quoi il s'agit.<br /> En 415 avant J.-C., on est en pleine guerre du Péloponnèse, qui depuis plus de quinze ans, oppose l'Empire Athénien à la Ligue Spartiate. Passons sur les détails. Le monde grec, qui a porté le développement des arts, des sciences, de la pensée, le raffinement de la culture à leur comble, est absorbé dans une conflagration fratricide, une des plus hautes civilisations de l'humanité déchire ses propres entrailles, etc. Nous avons tous vu cela dans notre cours d'histoire. Même Tariq-le-«philosophe» a dû voir cela. Donc, en 415 avant J.-C., a lieu cette fameuse expédition de Sicile - qui fut un des épisodes les plus poignants, les plus tragiques de cette tragédie vraiment grecque, on peut le dire. Il s'agissait, pour Athènes, de s'emparer de la Sicile et des colonies de l'ouest afin d'étrangler économiquement sa rivale, qu'elle n'avait pu jusque là réduire par les armes. L'expédition était bien préparée, porteuse de tous les espoirs de l'Empire, elle avait à sa tête les hommes les plus valeureux de l'Antiquité, Nicias et Alcibiade. Vous savez cela. Même Tariq sait cela. Vous savez aussi - même Tariq sait aussi - que ce fut un des échecs les plus retentissants de toute l'histoire de l'art militaire - comme on disait du temps où celui-ci ne consistait pas encore à appuyer sur des boutons et à balancer sur des populations civiles terrorisées des bijoux technologiques à trois millions de dollars bourrés de ferraille et d'explosifs, conçus pas des Folamour en blouse blanche. «Le monde moderne avilit tout», disait l'ami Péguy, grand philhellène devant l'Éternel. Il avilit même la guerre: Péguy est mort juste avant d'avoir vu cela, dans la dernière guerre «traditionnelle», menée par des moyens connus de l'humanité, ou dans la première guerre moderne, comme on voudra. <br /> Bref, la campagne de Sicile fut un échec, un désastre, et en même temps, un présage: elle annonçait la perte irréversible de la puissance athénienne, et avec elle, la mutation de tout le monde hellénique, de tout le monde antique; un monde s'effondrait; une page de l'histoire était définitivement tournée, et je vous passe encore une bonne demi-douzaine de grandes phrases de ce genre. Mon article finirait par ressembler à un discours de Tariq.<br /> En même temps, un monde nouveau allait émerger des décombres, allait surgir de ce désastre qui de ce point de vue n'en fut pas un. C'est de l'effondrement de l'Empire Athénien qu'allaient naître Socrate, Platon, Aristote, avec déjà à l'horizon Plotin, Proclus, Damascius, et puis toute la scolastique médiévale, et le néo-platonisme arabe, Avicenne, les Frères de la Pureté, qui pointent le bout de leur nez; tout un courant intellectuel qui allait irriguer en profondeur l'humanité pour les siècles et les millénaires à venir, et est encore loin d'être tari de nos jours - plus qu'un courant, un univers. Et tout ça, né de la chute d'Athènes comme puissance militaire et politique, chute annoncée et largement préfigurée par le désastre de Syracuse.<br /> Et pourquoi ce désastre? Oh! pour des raisons multiples sans doute. Et d'abord pour une raison supérieure que le monde antique résumait d'un mot terrible et fascina
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A
Extrait du texte : <br /> <br /> __________________________________________________ <br /> <br /> Un engagement, au delà des atteintes à la liberté d’expression <br /> __________________________________________________ <br /> <br /> mardi 13 février 2007, par Tariq Ramadan <br /> <br /> J’ai enfin reçu, en septembre dernier, une réponse à la question que je posais depuis deux ans à l’Administration américaine : pourquoi mon visa de travail a-t-il été révoqué fin juillet 2004 alors que je m’apprêtais à m’installer aux USA et à occuper mon double poste de Professeur d’islamologie et de Religion, conflit et promotion de la paix ? Me lavant de toutes les allégations concernant mes relations avec des groupements terroristes, le Homeland Security Département me reproche aujourd’hui d’avoir fait un don d’environ neuf cents dollars US à une organisation suisse de soutien aux Palestiniens qui a été inscrite sur la liste noire américaine. J’aurais « raisonnablement dû savoir », m’informe la lettre que j’ai reçue de l’Ambassade américaine en Suisse, que cette association avait des liens avec le Hamas. <br /> <br /> Ce que l’Administration américaine omet de dire, c’est que c’est moi-même qui l’ai informée de l’existence de ces dons et que l’organisation en question est officiellement reconnue par les autorités suisses jusqu’à ce jour (mes dons avaient été enregistrés dans ma déclaration d’impôts). Ce qui est plus grave, c’est que j’ai versé de l’argent à cette organisation entre 1998 et 2002, à savoir plus d’une année avant que les autorités américaines la placent sur leur liste noire : j’aurais donc « raisonnablement dû savoir » les supposées activités illégales de cette organisation une année avant l’Administration américaine elle-même ! C’est ridicule ! Ce qui est clair, c’est que l’Administration américaine me refuse l’entrée sur son territoire à cause de mes critiques de sa politique au Moyen-Orient et de son soutien inconditionnel à Israël qui l’amène à faire fi des droits des Palestiniens. Les associations qui me soutiennent comme l’Association Américaine pour les libertés civiles (ACLU), l’Académie Américaine des Religions (AAR), l’Association Américaine des Professeurs d’Universités (AAUP) ainsi que l’Association des écrivains PEN l’ont bien compris et continuent à soutenir, avec tant d’autres organisations, professeurs et intellectuels, le recours légal que j’ai lancé contre cette décision. Ce qui est en jeu ne me concerne pas uniquement : la « peur des idées » qui s’est installée aux USA après le 11 septembre 2001, le refus de visa à certains professeurs et intellectuels, le plus souvent musulmans, touchent le cœur même de la démocratie américaine. Imposer des limites et bannir des opinions critiques sont une atteinte à la liberté d’expression qui concerne tous les esprits libres. Accepter cela, c’est accepter que les Etats-Unis, au nom de la lutte contre le terrorisme et de la sécurité, mine les fondements de l’idéal démocratique et impose aux citoyens une façon de penser. La situation est devenue particulièrement grave. <br /> <br /> Il y aurait donc certains sujets sur lesquels un citoyen américain ou un résident aux USA devrait faire silence. Le musulman « modéré » serait celui qui jamais n’aborde la question de Moyen-Orient, la souffrance des Palestiniens et l’arrogance de la politique israélienne depuis tant d’années. Imposer ce cadre est non seulement contreproductif mais surtout cela appauvrit le débat démocratique et ouvert dont la société américaine a besoin. Dans une atmosphère de peur continuelle, les langues restent liées et les esprits qui pourraient permettre le débat de fond sont tout simplement bannis du territoire. <br /> Or, la société américaine, comme toutes les sociétés occidentales a changé, et la diversité des origines produit une diversité d’opinions politiques avec laquelle il va falloir vivre et notamment sur la question du Moyen-Orient et des relations avec le monde islamique. Des millions de citoyens occidentaux de confession musulmane apportent un nouveau regard sur le monde dans les politiques occidentales : il faudrait s’enrichir de cette présence mais si, au contraire, on refuse cette réalité, alors cela veut dire agir contre la démocratie en empêchant certains citoyens et résidents de s’exprimer librement. Or, il est impératif que le débat soit ouvert, libre et critique. <br /> <br /> [...]
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