La "question Tariq Ramadan" posée à l'intelligentsia française !
Lombre de Tariq Ramadan commence à planer au-dessus de lintelligentsia française. La Suisse, lAngleterre, les Etats-Unis, emploient des méthodes différentes face à sa recontextualisation de lislam. Le corps intellectuel hexagonal a peiné jusquici dans sa façon de débattre avec cet homme mystérieux. Tandis que les voies entreprises ailleurs à son encontre, nont pas encore porté leur fruit. Essai sur Tariq Ramadan, non plus sur lhomme, mais en partant de lenvironnement intellectuel qui lentoure le fabrique et le nourrit chaque jour encore plus .
Licencié en philosophie, et docteur en Lettres, spécialisé dans les écritures coraniques surtout et leurs interprétations, Tariq Ramadan part ensuite au Caire, étudier les sciences islamiques à luniversité de Al-Azhar. Depuis il donne des conférences en Suisse, en France et récemment tente la Grande-Bretagne. Pour être plus précis, il enseigne au collège Saussure, de Genève, et se rend à Fribourg pour donner des cours dislamologie entre 1996 et 2003. Son incursion aux Etats-Unis fut pour le moins très courte : il possède une chaire pendant un an dans lIndiana, sur invitation du Joan B. Kroc Institute, puis se voit refuser de visa par le gouvernement. Retour en Suisse donc, puis premières tentatives en Angleterre, dès lété 2005, dans le cadre dun groupe de réflexion sur le problème de lislamisme au Royaume-Uni, groupe fondé par Tony Blair.
Ramadan est un « maître du double langage ! » (Antoine Sfeir photo)
Tariq Ramadan est petit à petit devenu quelquun de gênant en Suisse. Où il est très souvent vilipendé par des hommes et femmes politiques, des journalistes, en direct à la télévision, à des heures de grande écoute. Daprès les extraits vidéos accessibles depuis Youtube et Dailymotion, peu de personnalités suisses nont semblé en mesure de lui tenir la dragée haute, au plan de laisance à faire passer des messages. Cela reste plus rude pour lui de simmerger dans le microcosme intellectuel français. Bête noire de Alain Finkielkraut, philosophe ; pris au pied de la lettre ouvertement sur France2 par Nicolas Sarkozy, à heure de grande écoute ; cible de certains énervements de Philippe de Villiers sur le plateau de Ripostes (du très bon Serge Moati), contrecarré modestement par Max Gallo sur la question dune impossible symbiose entre lIdée républicaine française et lislam Tariq Ramadan tarde à pouvoir dialoguer dans du débat de fond sur le phénomène islamique en France. Alors il en est réduit et cristallisé à quelques dialogues suspicieux comme celui-ci : « Cest à la loi stricte de 1905 dêtre adaptée à lislam, et non linverse » dit-il à N.Sarkozy en 2003 dans 100 minutes pour convaincre, lequel répond « Pas de signes ostentatoires, demandez à retirer le port du voile » ; réponse de Ramadan : « il faut des signes discrets, on peut très bien retirer le voile si on respecte quune jeune fille couvre sa tête ». Ramadan cest un peu cela : on ne sait où il veut en venir clairement, car il gêne et est entrecoupé dans son message. Mais il tord le cou assez vite à ce quon a cru entrevoir 3 secondes avant, passant rapidement dun resserrement du débat sur les mystères de lislam, vers un élargissement géopolitique et universel, passant parfois du rôle de la victime du débat au patron. Noyant lui aussi les débats. Antoine Sfeir, directeur des Cahiers de l'Orient (revue d'études et de réflexions sur le monde arabo-musulman), et président du Centre d'études et de réflexions sur le Proche-Orient, parle de lui comme dun « maître du double langage ». La réflexion venant de Sfeir, on peut comprendre combien lintelligentsia français peine à débattre avec Ramadan.
Ramadan et lislam, Ramadan et la France
Tariq Ramadan est très difficile à cerner. Dans son intellectualisation de lislam actuel, il recontextualise un islam ancien, à priori en décalage avec la vision occidentale de cette religion. « Il y a la tendance réformiste rationaliste et la tendance salafiste au sens où le salafisme essaie de rester fidèle aux fondements. Je suis de cette tendance-là, c'est-à-dire qu'il y a un certain nombre de principes qui sont pour moi fondamentaux, que je ne veux pas trahir en tant que musulman.» (nov 2003 sur Beur FM). Il semble se rattacher davantage à cet islam des fondements, quaux autres, et paraît donc aux yeux de certains intellectuels français, être en marge des réalités quotidiennes de lislam moderne, de France, dEurope. Or, lislam quil maîtrise et défend, nest finalement plus si ancien que cela. Cest un islam réinterprété et réactualisé au cours du XIXème siècle dernier par des maîtres-penseurs qui se souciaient dune mise en phase de leur religion avec lOccident. De cet amalgame entre lislam quil défend et celui quon lui dit défendre, Tariq Ramadan passe auprès de certains lettrés, pour une certaine vitrine aguicheuse de lislam dur. En France plus particulièrement, où ses idées paraissent vagues voire tendancieuses, lorsquelles ne viennent pas sentrechoquer de front avec un idéal républicain héritier de la Révolution Française. Tariq Ramadan pense sûrement, à juste raison, que conquérir la bulle des débatteurs français, serait le début de son ouverture à lEurope. Mais la tâche est dautant plus difficile que le paysage intellectuel français est aussi pluriel quarc-bouté sur de longs siècles de connaissances critiques. Il fait donc parti dun nouveau paysage intellectuel possible. Dont le rempart le plus sérieux reste les hommes politiques engagés dans des voies traditionalistes, ainsi que les philosophes français de manière générale. Mais si on surplombe le fond de ses débats davec lintelligentsia français, il apparaît quil na pas vraiment assimilé les ramifications européennes différentes selon les pays sensibilisés, ni le décalage temporel de leur diffusion -Révo française=>Bonapartisme=>invasion napoléonienne et diffusion=>révolutions populaires européennes du XIXème siècle=> retour de la république en France-. Ce serait plutôt sur ce point que la question Ramadan devrait être abordé, et non en une sorte de problème franco-français dintégration inachevée, de colonialisme pesant